Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/275

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
268
II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

faire perdre la raison. Tiens, quand elle me regarde d’une certaine façon, ses yeux bleus me semblent le paradis, et je ne suis plus mon maître, surtout quand il y a quelques jours qu’elle me tient rigueur.

— Hé ! bien, si elle fait la sucrée, contentez-vous de lui promettre la procuration, et prévenez-moi la veille de la signature. Cela me suffira : Maxence ne sera pas votre mandataire, ou bien il m’aura tué. Si je le tue, vous me prendrez chez vous à sa place, je vous ferai marcher alors cette jolie fille au doigt et à l’œil. Oui, Flore vous aimera, tonnerre de Dieu ! ou si vous n’êtes pas content d’elle, je la cravacherai.

— Oh ! je ne souffrirai jamais cela. Un coup frappé sur Flore m’atteindrait au cœur.

— Mais c’est pourtant la seule manière de gouverner les femmes et les chevaux. Un homme se fait ainsi craindre, aimer et respecter. Voilà ce que je voulais vous dire dans le tuyau de l’oreille. — Bonjour, messieurs, dit-il à Mignonnet et à Carpentier, je promène mon oncle, comme vous voyez, et je tâche de le former ; car nous sommes dans un siècle où les enfants sont obligés de faire l’éducation de leurs grands-parents.

On se salua respectivement.

— Vous voyez dans mon cher oncle les effets d’une passion malheureuse, reprit le colonel. On veut le dépouiller de sa fortune, et le laisser là comme Baba ; vous savez de qui je veux parler. Le bonhomme n’ignore pas le complot, et il n’a pas la force de se passer de nanan pendant quelques jours pour le déjouer.

Philippe expliqua net la situation dans laquelle se trouvait son oncle.

— Messieurs, dit-il en terminant, vous voyez qu’il n’y a pas deux manières de délivrer mon oncle : il faut que le colonel Bridau tue le commandant Gilet ou que le commandant Gilet tue le colonel Bridau. Nous fêtons le couronnement de l’Empereur après demain, je compte sur vous pour arranger les places au banquet de manière à ce que je sois en face du commandant Gilet. Vous me ferez, je l’espère, l’honneur d’être mes témoins.

— Nous vous nommerons président, et nous serons à vos côtés. Max, comme vice-président, sera votre vis-à-vis, dit Mignonnet.

— Oh ! ce drôle aura pour lui le commandant Potel et le capitaine Renard, dit Carpentier. Malgré ce qui se dit en ville sur ses