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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

Après avoir obtenu sa place, Philippe, au fait des disettes du pays, voulut dérober le plus possible la connaissance de certaines choses à la ville ; il se logea donc dans une maison située à l’extrémité du faubourg Saint-Paterne, et à laquelle attenait un très grand jardin. Il put y faire, dans le plus grand secret, des armes avec Carpentier, qui avait été maître d’armes dans la Ligne avant de passer dans la Garde. Après avoir ainsi secrètement repris son ancienne supériorité, Philippe apprit de Carpentier des secrets qui lui permirent de ne pas craindre un adversaire de la première force. Il se mit alors à tirer le pistolet avec Mignonnet et Carpentier, soi-disant par distraction, mais pour faire croire à Maxence qu’il comptait, en cas de duel, sur cette arme.

Quand Philippe rencontrait Gilet il en attendait un salut, et répondait en soulevant le bord de son chapeau d’une façon cavalière, comme fait un colonel qui répond au salut d’un soldat. Maxence Gilet ne donnait aucune marque d’impatience ni de mécontentement ; il ne lui était jamais échappé la moindre parole à ce sujet chez la Cognette où il se faisait encore des soupers ; car, depuis le coup de couteau de Fario, les mauvais tours avaient été provisoirement suspendus. Au bout d’un certain temps, le mépris du lieutenant-colonel Bridau pour le chef de bataillon Gilet fut un fait avéré dont s’entretinrent entre eux quelques-uns des Chevaliers de la Désœuvrance qui n’étaient pas aussi étroitement liés avec Maxence que Baruch, que François et trois ou quatre autres. On s’étonna généralement de voir le violent, le fougueux Max se conduisant avec une pareille réserve. Aucune personne à Issoudun, pas même Potel ou Renard, n’osa traiter ce point délicat avec Gilet. Potel, assez affecté de cette mésintelligence publique entre deux braves de la Garde Impériale, présentait Max comme très capable d’ourdir une trame où se prendrait le colonel. Selon Potel, on pouvait s’attendre à quelque chose de neuf, après ce que Max avait fait pour chasser le frère et la mère, car l’affaire de Fario n’était plus un mystère. Monsieur Hochon n’avait pas manqué d’expliquer aux vieilles têtes de la ville la ruse atroce de Gilet. D’ailleurs monsieur Mouilleron, le héros d’une disette bourgeoise, avait dit en confidence le nom de l’assassin de Gilet, ne fût-ce que pour rechercher les causes de l’inimitié de Fario contre Max, afin de tenir la Justice éveillée sur des événements futurs.

En causant sur la situation du lieutenant-colonel vis-à-vis de Max,