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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

colonel Philippe Bridau sortit. Cette visite laissa dans l’âme de Flore et aussi chez Gilet une émotion plus grave encore que leur saisissement à la première vue de cet effroyable soudard. Dès que Philippe eut tiré la porte avec une violence d’héritier dépouillé, Flore et Gilet se cachèrent dans les rideaux pour le regarder allant de chez son oncle chez les Hochon.

— Quel chenapan ! dit Flore en interrogeant Gilet par un coup d’œil.

— Oui, par malheur, il s’en est trouvé quelques-uns comme ça dans les armées de l’Empereur ; j’en ai descendu sept sur les pontons, répondit Gilet.

— J’espère bien, Max, que vous ne chercherez pas dispute à celui-ci, dit mademoiselle Brazier.

— Oh ! celui-là, répondit Max, est un chien galeux qui veut un os, reprit-il en s’adressant au père Rouget. Si son oncle a confiance en moi, il s’en débarrassera par quelque donation ; car il ne vous laissera pas tranquille, papa Rouget.

— Il sentait bien le tabac, fit le vieillard.

— Il sentait vos écus aussi, fit Flore d’un ton péremptoire. Mon avis est qu’il faut vous dispenser de le revoir.

— Je ne demande pas mieux, répondit Rouget.

— Monsieur, dit Gritte en entrant dans la chambre où toute la famille Hochon se trouvait après déjeuner, voici le monsieur Bridau dont vous parliez.

Philippe fit son entrée avec politesse, au milieu d’un profond silence causé par la curiosité générale. Madame Hochon frémit de la tête aux pieds en apercevant l’auteur de tous les chagrins d’Agathe et l’assassin de la bonne femme Descoings. Adolphine eut aussi quelque effroi. Baruch et François échangèrent un regard de surprise. Le vieil Hochon conserva son sang-froid et offrit un siège au fils de madame Bridau.

— Je viens, monsieur, dit Philippe, me recommander à vous ; car j’ai besoin de prendre mes mesures de façon à vivre dans ce pays-ci, pendant cinq ans, avec soixante francs par mois que me donne la France.

— Cela se peut, répondit l’octogénaire.

Philippe parla de choses indifférentes en se tenant parfaitement bien. Il présenta comme un aigle le journaliste Lousteau, neveu de la vieille dam dont les bonnes grâces lui furent acquises quand