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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

les. Or, le lendemain de son arrivée, il aperçut le toit de l’église des Capucins noir de pigeons, car il demeurait en face. Il se maudit lui-même pour avoir négligé de faire visiter la couverture, et alla promptement à son magasin, où il trouva la moitié de son grain dévoré. Des milliers de crottes de souris, de rats et de mulots éparpillées lui révélèrent une seconde cause de ruine. L’église était une arche de Noé. Mais la fureur rendit l’Espagnol blanc comme de la batiste quand, en essayant de reconnaître l’étendue de ses pertes et du dégât, il remarqua tout le grain de dessous quasi germé par une certaine quantité de pots d’eau que Max avait eu l’idée d’introduire, au moyen d’un tube en fer-blanc, au cœur des tas de blé. Les pigeons, les rats s’expliquaient par l’instinct animal ; mais la main de l’homme se révélait dans ce dernier trait de perversité. Fario s’assit sur la marche d’un autel dans une chapelle, et resta la tête dans ses mains. Après une demi-heure de réflexions espagnoles, il vit l’écureuil que le fils Goddet avait tenu à lui donner pour pensionnaire jouant avec sa queue le long de la poutre transversale sur le milieu de laquelle reposait l’arbre du toit. L’Espagnol se leva froidement en montrant à son garçon de magasin une figure calme comme celle d’un Arabe. Fario ne se plaignit pas, il rentra dans sa maison, il alla louer quelques ouvriers pour ensacher le bon grain, étendre au soleil les blés mouillés afin d’en sauver le plus possible ; puis il s’occupa de ses livraisons, après avoir estimé sa perte aux trois cinquièmes. Mais, ses manœuvres ayant opéré une hausse, il perdit encore en rachetant les trois cinquièmes manquants ; ainsi sa perte fut de plus de moitié. L’Espagnol, qui n’avait pas d’ennemis, attribua, sans se tromper, cette vengeance à Gilet. Il lui fut prouvé que Max et quelques autres, les seuls auteurs des farces nocturnes, avaient bien certainement monté sa charrette sur la Tour, et s’étaient amusés à le ruiner : il s’agissait en effet de mille écus, presque tout le capital, péniblement gagné par Fario depuis la paix. Inspiré par la vengeance, cet homme déploya la persistance et la finesse d’un espion à qui l’on a promis une forte récompense. Embusqué la nuit, dans Issoudun il finit par acquérir la preuve des déportements des Chevaliers de la Désœuvrance : il les vit, il les compta, il épia leurs rendez-vous et leurs banquets chez la Cognette ; puis il se cacha pour être le témoin d’un de leurs tours, et se mit au fait de leurs mœurs nocturnes.

Malgré ses courses et ses préoccupations, Maxence ne voulait pas négliger les affaires de nuit, d’abord pour ne pas laisser péné-