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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

— Mes chers enfants, ce matin, à propos du tour mémorable que nous avons fait avec la charrette de Fario, votre Grand-Maître a été si fortement atteint dans son honneur par ce vil marchand de grains, et de plus Espagnol !… (oh ! les pontons !…), que j’ai résolu de faire sentir le poids de ma vengeance à ce drôle, tout en restant dans les conditions de nos amusements. Après y avoir réfléchi pendant toute la journée, j’ai trouvé le moyen de mettre à exécution une excellente farce, une farce capable de le rendre fou. Tout en vengeant l’Ordre atteint en ma personne, nous nourrirons des animaux vénérés par les Egyptiens, de petites bêtes qui sont après tout les créatures de Dieu, et que les hommes persécutent injustement. Le bien est fils du mal, et le mal est fils du bien ; telle est la loi suprême ! Je vous ordonne donc à tous, sous peine de déplaire à votre très humble Grand-Maître, de vous procurer le plus clandestinement possible chacun vingt rats ou vingt rates pleines, si Dieu le permet. Ayez réuni votre contingent dans l’espace de trois jours. Si vous pouvez en prendre davantage, le surplus sera bien reçu. Gardez ces intéressants rongeurs sans leur rien donner, car il est essentiel que ces chères petites bêtes aient une faim dévorante. Remarquez que j’accepte pour rats, les souris et les mulots. Si nous multiplions vingt-deux par vingt nous aurons quatre cent et tant de complices qui, lâchés dans la vieille église des Capucins où Fario a mis tous les grains qu’il vient d’acheter, en consommeront une certaine quantité. Mais soyons agiles ! Fario doit livrer une forte partie de grains dans huit jours ; or, je veux que mon Espagnol, qui voyage aux environs pour ses affaires, trouve un effroyable déchet. Messieurs, je n’ai pas le mérite de cette invention, dit-il en apercevant les marques d’une admiration générale. Rendons à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Ceci est une contrefaçon des renards de Samson dans la Bible. Mais Samson fut incendiaire, et conséquemment peu philanthrope ; tandis que, semblables aux Brahmes, nous sommes les protecteurs des races persécutées. Mademoiselle Flore Brazier a déjà tendu toutes ses souricières, et Kouski, mon bras droit, est à la chasse des mulots. J’ai dit.

— Je sais, dit le fils Goddet, où trouver un animal qui vaudra quarante rats à lui seul.

— Quoi ?

— Un écureuil.