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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

renverser leur empire sur mon oncle… La fortune ne vaut pas ces tracas-là, sans compter qu’il faut s’y déshonorer en faisant mille bassesses. Ma mère n’a que quinze jours de congé, sa place est sûre, elle ne doit pas la compromettre. Moi, j’ai dans le mois d’octobre des travaux importants que Schinner m’a procurés chez un pair de France… Et, voyez-vous, madame, ma fortune à moi est dans mes pinceaux !

Ce discours fut accueilli par une profonde stupéfaction. Madame Hochon, quoique supérieure relativement à la ville où elle vivait, ne croyait pas à la peinture. Elle regarda sa filleule, et lui serra de nouveau la main.

— Ce Maxence est le second tome de Philippe, dit Joseph à l’oreille de sa mère ; mais avec plus de politique, avec plus de tenue que n’en a Philippe. — Allons ! madame, s’écria-t-il tout haut, nous ne contrarierons pas pendant longtemps monsieur Hochon par notre séjour ici !

— Ah ! vous êtes jeune, vous ne savez rien du monde ! dit la vieille dame. En quinze jours avec un peu de politique on peut obtenir quelques résultats ; écoutez mes conseils, et conduisez-vous d’après mes avis.

— Oh ! bien volontiers, répondit Joseph, je me sens d’une incapacité mirobolante en fait de politique domestique ; et je ne sais pas, par exemple, ce que Desroches lui-même nous dirait de faire si, demain, mon oncle refus de nous voir ?

Mesdames Borniche, Goddet-Héreau, Beaussier, Lousteau-Prangin et Fichet ornées de leurs époux, entrèrent. Après les compliments d’usage, quand ces quatorze personnes furent assises, madame Hochon ne put se dispenser de leur présenter sa filleule Agathe et Joseph. Joseph resta sur un fauteuil occupé sournoisement à étudier les soixante figures qui, de cinq heures et demie à neuf heures, vinrent poser devant lui gratis, comme il le dit à sa mère. L’attitude de Joseph pendant cette soirée en face des patriciens d’Issoudun ne fit pas changer l’opinion de la petite ville sur son compte : chacun s’en alla saisi de ses regards moqueurs, inquiet de ses sourires, ou effrayé de cette figure, sinistre pour des gens qui ne savaient pas reconnaître l’étrangeté du génie.

À dix heures, quand tout le monde se coucha, la marraine garda sa filleule dans sa chambre jusqu’à minuit. Sûres d’êtres seules, ces deux femmes, en se confiant les chagrins de leur vie, échangèrent