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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

qui respectèrent peu de chose, avaient respecté cette salle où leurs splendeurs et leurs désastres ne laissaient pas la moindre trace.

— Ah ! ma marraine, ma vie a été cruellement agitée en comparaison de la vôtre, s’écria madame Bridau surprise de retrouver jusqu’à un serin, qu’elle avait connu vivant, empaillé sur la cheminée entre la vieille pendule, les vieux bras de cuivre et des flambeaux d’argent.

— Ah ! mon enfant, répondit la vieille femme, les orages sont dans le cœur. Plus nécessaire et grande fut la résignation, plus nous avons eu de luttes avec nous-mêmes. Ne parlons pas de moi, parlons de vos affaires. Vous êtes précisément en face de l’ennemi, reprit-elle en montrant la salle de la maison Rouget.

— Ils se mettent à table, dit Adolphine.

Cette jeune fille, quasi recluse, regardait toujours par les fenêtres espérant saisir quelque lumière sur les énormités imputées à Maxence Gilet, à la Rabouilleuse, à Jean-Jacques, et dont quelques mots arrivaient à ses oreilles quand on la renvoyait pour parler d’eux. La vieille dame dit à sa petite-fille de la laisser seule avec monsieur et madame Bridau jusqu’à ce qu’une visite arrivât.

— Car, dit-elle en regardant les deux Parisiens, je sais mon Issoudun par cœur, nous aurons ce soir : dix à douze fournées de curieux.

À peine madame Hochon avait-elle pu raconter aux deux Parisiens les événements et les détails relatifs à l’étonnant empire conquis sur Jean-Jacques Rouget par la Rabouilleuse et par Maxence Gilet, sans prendre la méthode synthétique avec laquelle ils viennent d’être présentés ; mais en y joignant les mille commentaires, les descriptions et les hypothèses dont ils étaient ornés par les bonnes et par les méchantes langues de la ville, qu’Adolphine vint annoncer les Borniche, les Beaussier, les Lousteau-Prangin, les Fichet, les Goddet-Héreau, en tout quatorze personnes qui se dessinaient dans le lointain.

— Vous voyez, ma petite, dit en terminant la vieille dame, que ce n’est pas une petite affaire que de retirer cette fortune de la gueule du loup…

— Cela me semble si difficile avec un gredin comme vous venez de nous le dépeindre et une commère comme cette luronne-là, que ce doit être impossible, répondit Joseph. Il nous faudrait rester à Issoudun au moins une année pour combattre leur influence et