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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Allons, Adolphine, dit madame Hochon, va voir au dîner.

— Ma mère, dit Joseph, je vais faire placer nos malles qui arrivent.

— Hochon, montre les chambres à monsieur Bridau, dit la grand’mère à François.

Comme le dîner se servait à quatre heures et qu’il était trois heures et demie, Baruch alla dans la ville y donner des nouvelles de la famille Bridau, peindre la toilette d’Agathe, et surtout Joseph dont la figure ravagée, maladive, et si caractérisée ressemblait au portrait idéal que l’on se fait d’un brigand. Dans tous les ménages, ce jour-là, Joseph défraya la conversation.

— Il paraît que la sœur du père Rouget a eu pendant sa grossesse un regard de quelque singe, disait-on ; son fils ressemble à un macaque. — Il a une figure de brigand, et des yeux de basilic. — On dit qu’il est curieux à voir, effrayant. — Tous les artistes à Paris sont comme cela. — Ils sont méchants comme des ânes rouges, et malicieux comme des singes. — C’est même dans leur état. — Je viens de voir monsieur Beaussier, qui dit qu’il ne voudrait pas le rencontrer la nuit au coin d’un bois ; il l’a vu à la diligence. — Il a dans la figure des salières comme un cheval, et il fait des gestes de fou. — Ce garçon-là paraît être capable de tout ; c’est lui qui peut-être est cause que son frère, qui était un grand bel homme, a mal tourné. — La pauvre madame Bridau n’a pas l’air d’être heureuse avec lui. Si nous profitions de ce qu’il est ici pour faire tirer nos portraits ?

Il résulta de ces opinions, semées comme par le vent dans la ville, une excessive curiosité. Tous ceux qui avaient le droit d’aller voir les Hochon se promirent de leur faire visite le soir même pour examiner les Parisiens. L’arrivée de ces deux personnages équivalait dans une ville stagnante comme Issoudun à la solive tombée au milieu des grenouilles.

Après avoir mis les effets de sa mère et les siens dans les deux chambres en mansarde et les avoir examinées, Joseph observa cette maison silencieuse où les murs, l’escalier, les boiseries étaient sans ornement et distillaient le froid, où il n’y avait en tout que le strict nécessaire. Il fut alors saisi de cette brusque transition du poétique Paris à la muette et sèche province. Mais quand, en descendant, il aperçut monsieur Hochon coupant lui-même pour chacun des tranches de pain, il comprit, pour la première fois de sa vie, Harpagon de Molière.