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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

dans la salle où le digne monsieur Hochon resta froid comme un four miné.

— Voilà monsieur Hochon, comment le trouves-tu ? dit la marraine à sa filleule.

— Mais absolument comme quand je l’ai quitté, dit la Parisienne.

— Ah ! l’on voit que vous venez de Paris, vous êtes complimenteuse, fit le vieillard.

Les présentations eurent lieu ; celle du petit Baruch Borniche, grand jeune homme de vingt-deux ans ; celle du petit François Hochon, âgé de vingt-quatre ans, et celle de la petite Adolphine, qui rougissait, ne savait que faire de ses bras et surtout de ses yeux ; car elle ne voulait pas avoir l’air de regarder Joseph Bridau, curieusement observé par les deux jeunes gens et par le vieux Hochon, mais à des points de vue différents. L’avare se disait : — Il sort de 1'hôpital, il doit avoir faim comme un convalescent. Les deux jeunes gens se disaient : — Quel brigand ! quelle tête ! il nous donnera bien du fil à retordre.

— Voilà mon fils le peintre, mon bon Joseph ! dit enfin Agathe en montrant l’artiste.

Il y eut dans l’accent du mot bon un effort où se révélait tout le cœur d’Agathe qui pensait à la prison du Luxembourg.

— Il a l’air malade, s’écria madame Hochon, il ne te ressemble pas…

— Non, madame, reprit Joseph avec la brutale naïveté de l’artiste, je ressemble à mon père, et en laid encore !

Madame Hochon serra la main d’Agathe qu’elle tenait, et lui jeta un regard. Ce geste, ce regard voulaient dire : — Ah ! je conçois bien, mon enfant, que tu lui préfères ce mauvais sujet de Philippe.

— Je n’ai jamais vu votre père, mon cher enfant, répondit à haute voix madame Hochon ; mais il vous suffit d’être le fils de votre mère pour que je vous aime. D’ailleurs vous avez du talent, à ce que m’écrivait feu madame Descoings, la seule de la maison qui me donnât de vos nouvelles dans les derniers temps.

— Du talent ! fit l’artiste, pas encore ; mais, avec le temps et la patience, peut-être pourrai-je gagner à la fois gloire et fortune.

— En peignant ?… dit monsieur Hochon avec une profonde ironie.