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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

traignez pas à dédommager Agathe dans mon testament de quelque mauvais accueil.

— Croyez-vous, madame, répondit Hochon d’une voix douce, qu’à mon âge je ne connaisse pas la civilité puérile et honnête…

— Vous savez bien ce que je veux dire, vieux sournois. Soyez aimable pour nos hôtes, et souvenez-vous combien j’aime Agathe…

— Vous aimiez aussi Maxence Gilet, qui va dévorer une succession due à votre chère Agathe !… Ah ! vous avez réchauffé là un serpent dans votre sein ; mais, après tout, l’argent des Rouget devait appartenir à un Lousteau quelconque.

Après cette allusion à la naissance présumée d’Agathe et de Max, Hochon voulut sortir ; mais la vieille madame Hochon, femme encore droite et sèche, coiffée d’un bonnet rond à coques et poudrée, ayant une jupe de taffetas gorge de pigeon, à manches justes, et les pieds dans des mules, posa sa tabatière sur sa petit table, et dit : — En vérité, comment un homme d’esprit comme vous, monsieur Hochon, peut-il répéter des niaiseries qui, malheureusement, ont coûté le repos à ma pauvre amie et la fortune de son père à ma pauvre filleule ? Max Gilet n’est pas le fils de mon frère, à qui j’ai bien conseillé dans le temps d’épargner ses écus. Enfin vous savez aussi bien que moi que madame Rouget était la vertu même…

— Et la fille est digne de la mère, car elle me paraît bien bête. Après avoir perdu toute sa fortune, elle a si bien élevé ses enfants, qu’en voilà un en prison sous le coup d’un procès criminel à la Cour des Pairs, pour le fait d’une conspiration à la Berton. Quant à l’autre, il est dans une situation pire, il est peintre !… Si vos protégés restent ici jusqu’à ce qu’ils aient dépêtré cet imbécile de Rouget des griffes de la Rabouilleuse et de Gilet, nous mangerons plus d’un minot de sel avec eux.

— Assez, monsieur Hochon, souhaitez qu’ils en tirent pied ou aile…

Monsieur Hochon prit son chapeau, sa canne à pomme d’ivoire, et sortit pétrifié par cette terrible phrase, car il ne croyait pas à tant de résolution chez sa femme. Madame Hochon, elle, prit son livre de prières pour lire l’Ordinaire de la Messe, car son grand âge l’empêchait d’aller tous les jours à l’église : elle avait de la peine à s’y rendre les dimanches et les jours fériés. Depuis qu’elle avait reçu la réponse d’Agathe, elle ajoutait à ses prières habituelles une prière pour supplier Dieu de dessiller les yeux à Jean-Jacques Rou-