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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

ciers cet axiome de l’ancienne jurisprudence : Les femmes sont des mineurs.

On pouvait donc toujours dire les cinq Hochon, puisque cette maison se composait encore de trois petits enfants et des deux grands parents. Aussi la plaisanterie durait-elle toujours, car aucune plaisanterie ne vieillit en province. Gritte, alors âgée de soixante ans, suffisait à tout.

La maison, quoique vaste, avait peu de mobilier. Néanmoins on pouvait très bien loger Joseph et madame Bridau dans deux chambres au deuxième étage. Le vieil Hochon se repentit alors d’y avoir conservé deux lits accompagnés chacun d’eux d’un vieux fauteuil en bois naturel et garnis en tapisserie, d’une table en noyer sur laquelle figurait un pot à eau du genre dit Gueulard dans sa cuvette bordée de bleu. Le vieillard mettait sa récolte de pommes et de poires d’hiver, de nèfles et de coings sur de la paille dans ces deux chambres où dansaient les rats et les souris ; aussi exhalaient-elles une odeur de fruit et de souris. Madame Hochon y fit tout nettoyer : le papier décollé par places fut recollé au moyen de pains à cacheter, elle orna les fenêtres de petits rideaux qu’elle tailla dans de vieux fourreaux de mousseline à elle. Puis, sur le refus de son mari d’acheter de petits tapis en lisière, elle donna sa descente de lit à sa petite Agathe, en disant de cette mère de quarante-sept ans sonnés : pauvre petite ! Madame Hochon emprunta deux tables de nuit aux Borniche, et loua très audacieusement chez un fripier, le voisin de la Cognette, deux vieilles commodes à poignées de cuivre. Elle conservait deux paires de flambeaux en bois précieux, tournés par son propre père qui avait la manie du tour. De 1770 à 1780, ce fut un ton chez les gens riches d’apprendre un métier, et monsieur Lousteau le père, ancien premier Commis des Aides, fut tourneur, comme Louis XVI fut serrurier. Ces flambeaux avaient pour garnitures des cercles en racines de rosier, de pêcher, d’abricotier. Madame Hochon risqua ces précieuses reliques !… Ces préparatifs et ce sacrifice redoublèrent la gravité de monsieur Hochon qui ne croyait pas encore à l’arrivée des Bridau.

Le matin même de cette journée illustrée par le tour fait à Fario, madame Hochon dit après le déjeuner à son mari : — J’espère, Hochon, que vous recevrez comme il faut madame Bridau, ma filleule. Puis, après s’être assurée que ses petits-enfants étaient partis, elle ajouta : — Je suis maîtresse de mon bien, ne me con-