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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

dansent plutôt que d’y mettre un humain, enfin un garçon que votre père a toujours pris pour son fils !… Voulez-vous savoir ce que vous êtes ? Je vais vous le dire : vous êtes un fratricide ! Après cela, je sais bien pourquoi ! Vous avez vu que je lui portais intérêt, et ça vous chicane ! Quoique vous paraissiez bête, vous avez plus de malice que les plus malicieux dans ce que vous êtes… Eh ! bien, oui, je lui porte intérêt, et un vif encore…

— Mais, Flore…

— Oh ! il n’y a pas de mais Flore qui tienne. Ah ! vous pouvez bien en chercher une autre Flore (si vous en trouvez une !), car je veux que ce verre de vin me serve de poison si je ne laisse pas là votre baraque de maison. Je ne vous aurai, Dieu merci, rien coûté pendant les douze ans que j’y suis restée, et vous aurez eu de l’agrément à bon marché. Partout ailleurs, j’aurais bien gagné ma vie à tout faire comme ici : savonner, repasser, veiller aux lessives, aller au marché, faire la cuisine, prendre vos intérêts en toutes choses, m’exterminer du matin au soir… Eh ! bien, voilà ma récompense…

— Mais Flore…

— Oui, Flore, vous en aurez des Flore, à cinquante et un ans que vous avez, et que vous vous portez très mal, et que vous baissez que c’en est effrayant, je le sais bien ! Puis, avec ça, que vous n’êtes pas amusant…

— Mais, Flore…

— Laissez-moi tranquille !

Elle sortit en fermant la porte avec une violence qui fit retentir la maison et parut l’ébranler sur ses fondements. Jean-Jacques Rouget ouvrit tout doucement la porte et alla plus doucement encore dans la cuisine, où Flore grommelait toujours.

— Mais, Flore, dit ce mouton, voilà la première nouvelle que j’ai de ton désir, comment sais-tu si je le veux ou si je ne le veux pas ?…

— D’abord, reprit-elle, il y a besoin d’un homme dans la maison. On sait que vous avez des dix, des quinze, des vingt mille francs ; et si l’on venait vous voler, on nous assassinerait. Moi, je ne me soucie pas du tout de me réveiller un beau matin coupée en quatre morceaux, comme on a fait de cette pauvre servante qu’a eu la bêtise de défendre son maître ! Eh ! bien, si l’on nous voit chez nous un homme brave comme César, et qui ne se mou-