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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

génies ignorés, qui savent rendre un simple plat de haricots digne du hochement de tête par lequel Rossini accueille une chose parfaitement réussie. En prenant ses degrés à Paris, le docteur y avait suivi les cours de chimie de Rouelle, et il lui en était resté des notions qui tournèrent au profit de la chimie culinaire. Il est célèbre à Issoudun par plusieurs améliorations peu connues en dehors du Berry. Il a découvert que l’omelette était beaucoup plus délicate quand on ne battait pas le blanc et le jaune des œufs ensemble avec la brutalité que les cuisinières mettent à cette opération. On devait, selon lui, faire arriver le blanc à l’état de mousse, y introduire par degrés le jaune, et ne pas se servir d’une poêle, mais d’un cagnard en porcelaine ou de faïence. Le cagnard est une espèce de plat épais qui a quatre pieds, afin que, mis sur le fourneau, l’air, en circulant, empêche le feu de le faire éclater. En Touraine, le cagnard s’appelle un cauquemarre. Rabelais, je crois, parle de ce cauquemarre à cuire les cocquesigrues, ce qui démontre la haute antiquité de cet ustensile. Le docteur avait aussi trouvé le moyen d’empêcher l’âcreté des roux ; mais ce secret, que par malheur il restreignit à sa cuisine, a été perdu.

Flore, née friturière et rôtisseuse, les deux qualités qui ne peuvent s’acquérir ni par l’observation ni par le travail, surpassa Fanchette en peu de temps. En devenant Cordon Bleu, elle pensait au bonheur de Jean-Jacques ; mais elle était aussi, disons-le, passablement gourmande. Hors d’état, comme les personnes sans instruction, de s’occuper par la cervelle, elle déploya son activité dans le ménage. Elle frotta les meubles, leur rendit leur lustre, et tint tout au logis dans une propreté digne de la Hollande. Elle dirigea ces avalanches de linge sale et ces déluges qu’on appelle les lessives, et qui, selon l’usage des provinces, ne se font que trois fois par an. Elle observa le linge d’un œil de ménagère, et le raccommoda. Puis, jalouse de s’initier par degrés aux secrets de la fortune, elle s’assimila le peu de science des affaires que savait Rouget, et l’augmenta par des entretiens avec le notaire du feu docteur, monsieur Héron. Aussi donna-t-elle d’excellents conseils à son petit Jean-Jacques. Sûre d’être toujours la maîtresse, elle eut pour les intérêts de ce garçon autant de tendresse et d’avidité que s’il s’agissait d’elle-même. Elle n’avait pas à craindre les exigences de son oncle. Deux mois avant la mort du docteur, Brazier était mort d’une chute en sortant du cabaret où, depuis sa fortune, il passait sa vie. Flore avait