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core manqué une seule soirée de la semaine ; elle appartenait à ses amis, et que... et que... etc., etc... Ses paroles furent d’autant plus humblement altières et abondamment doucereuses, que mademoiselle Salomon de Villenoix tenait à la société la plus aristocratique de Tours. Quoique mademoiselle Salomon vînt uniquement par amitié pour le vicaire, mademoiselle Gamard triomphait de l’avoir dans son salon, et se vit, grâce à l’abbé Birotteau, sur le point de faire réussir son grand dessein de former un cercle qui pût devenir aussi nombreux, aussi agréable que l’étaient ceux de madame de Listomère, de mademoiselle Merlin de La Blottière, et autres dévotes en possession de recevoir la société pieuse de Tours.

Mais, hélas ! l’abbé Birotteau fit avorter l’espoir de mademoiselle Gamard. Or, si tous ceux qui dans leur vie sont parvenus à jouir d’un bonheur souhaité long-temps, ont compris la joie que put avoir le vicaire en se couchant dans le lit de Chapeloud, ils devront aussi prendre une légère idée du chagrin que mademoiselle Gamard ressentit au renversement de son plan favori. Après avoir pendant six mois accepté son bonheur assez patiemment, Birotteau déserta le logis, entraînant avec lui mademoiselle Salomon. Malgré des efforts inouïs, l’ambitieuse Gamard avait à peine recruté cinq à six personnes, dont l’assiduité fut très-problématique, et il fallait au moins quatre gens fidèles pour constituer un boston. Elle fut donc forcée de faire amende honorable et de retourner chez ses anciennes amies, car les vieilles filles se trouvent en trop mauvaise compagnie avec elles-mêmes pour ne pas rechercher les agréments équivoques de la société.

La cause de cette désertion est facile à concevoir. Quoique le vicaire fût un de ceux auxquels le paradis doit un jour appartenir en vertu de l’arrêt : Bienheureux les pauvres d’esprit ! il ne pouvait, comme beaucoup de sots, supporter l’ennui que lui causaient d’autres sots. Les gens sans esprit ressemblent aux mauvaises herbes qui se plaisent dans les bons terrains, et ils aiment d’autant plus être amusés qu’ils s’ennuient eux-mêmes. L’incarnation de l’ennui dont ils sont victimes, jointe au besoin qu’ils éprouvent de divorcer perpétuellement avec eux-mêmes, produit cette passion pour le mouvement, cette nécessité d’être toujours là où ils ne sont pas qui les distingue, ainsi que les êtres dépourvus de sensibilité et ceux dont la destinée est manquée, ou qui souffrent par leur faute.