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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

jours l’instinct animal dont la persistance ressemble à une pensée.

Le lendemain Flore, à qui le silence de son maître avait fait faire des réflexions, s’attendit à quelque communication importante ; mais, quoiqu’il tournât autour d’elle et la regardât sournoisement avec des expressions de concupiscence, Jean-Jacques ne put rien trouver à dire. Enfin au moment du dessert, le maître recommença la scène de la veille.

— Vous vous trouvez bien ici ? dit il à Flore.

— Oui, monsieur Jean.

— Eh ! bien, restez-y.

— Merci, monsieur Jean.

Cette situation étrange dura trois semaines. Par une nuit où nul bruit ne troublait le silence, Flore, qui se réveilla par hasard, entendit le souffle égal d’une respiration humaine à sa porte, et fut effrayée en reconnaissant sur le palier Jean-Jacques couché comme un chien, et qui, sans doute, avait fait lui-même un trou par en bas pour voir dans la chambre.

— Il m’aime, pensa-t-elle ; mais il attrapera des rhumatismes à ce métier-là.

Le lendemain, Flore regarda son maître d’une certaine façon. Cet amour muet et presque instinctif l’avait émue, elle ne trouva plus si laid ce pauvre niais dont les tempes et le front chargés de boutons semblables à des ulcères portaient cette horrible couronne, attribut des sangs gâtés.

— Vous ne voudriez pas retourner aux champs, n’est-ce pas ? lui dit Jean-Jacques quand ils se trouvèrent seuls.

— Pourquoi me demandez-vous cela ? dit-elle en le regardant.

— Pour le savoir, fit Rouget en devenant de la couleur des homards cuits.

— Est-ce que vous voulez m’y renvoyer ? demanda-t-elle.

— Non, mademoiselle.

— Eh ! bien, que voulez-vous donc savoir ? Vous avez une raison…

— Oui, je voudrais savoir…

— Quoi ? dit Flore.

— Vous ne me le diriez pas ! fit Rouget.

— Si, foi d’honnête fille…

— Ah ! voilà, reprit Rouget effrayé. Vous êtes une honnête fille…