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LES CÉLIBATAIRES : UN MÉNAGE DE GARÇON.

Quand ils voulaient faire passer à quelqu’un la nuit tout entière en armes et dans de mortelles inquiétudes, ils lui écrivaient une lettre anonyme pour le prévenir qu’il devait être volé ; puis ils allaient un à un le long de ses murs ou de ses croisées, en s’appelant par des coups de sifflet.

Un de leurs plus jolis tours, dont s’amusa longtemps la ville où il se raconte encore, fut d’adresser à tous les héritiers d’une vieille dame fort avare, et qui devait laisser une belle succession, un petit mot qui leur annonçait sa mort en les invitant à être exacts pour l’heure où les scellés seraient mis. Quatre-vingts personnes environ arrivèrent de Vatan, de Saint-Florent, de Vierzon et des environs, tous en grand deuil, mais assez joyeux, les uns avec leurs femmes, les veuves avec leurs fils, les enfants avec leurs pères, qui dans une carriole, qui dans un cabriolet d’osier, qui dans une méchante charrette. Imaginez les scènes entre la servante de la vieille dame et les premiers arrivés ? puis les consultations chez les notaires !… Ce fut comme une émeute dans Issoudun.

Enfin, un jour, le Sous-Préfet s’avisa de trouver cet ordre de choses d’autant plus intolérable qu’il était impossible de savoir qui se permettait ces plaisanteries. Les soupçons pesaient bien sur les jeunes gens ; mais comme la Garde Nationale était alors purement nominale à Issoudun, qu’il n’y avait point de garnison, que le lieutenant de gendarmerie n’avait pas plus de huit gendarmes avec lui, qu’il ne se faisait pas de patrouilles, il était impossible d’avoir des preuves. Le Sous-Préfet fut mis à l’Ordre de nuit, et pris aussitôt pour bête noire. Ce fonctionnaire avait l’habitude de déjeuner de deux œufs frais. Il nourrissait des poules dans sa cour, et joignait à la manie de manger des œufs frais celle de vouloir les faire cuire lui-même. Ni sa femme, ni sa servante, ni personne, selon lui, ne savait faire un œuf comme il faut ; il regardait à sa montre, et se vantait de l’emporter en ce point sur tout le monde. Il cuisait ses œufs depuis deux ans avec un succès qui lui méritait mille plaisanteries. On enleva pendant un mois, toutes les nuits, les œufs de ses poules, auxquels on en substitua de durs. Le Sous-Préfet y perdit son latin et sa réputation de Sous-Préfet à l’œuf. Il finit par déjeuner autrement. Mais il ne soupçonna point les Chevaliers de la Desœuvrance, dont le tour était trop bien fait. Max inventa de lui graisser les tuyaux de ses poêles, toutes les nuits, d’une huile saturée d’odeurs si fétides, qu’il était impossible de tenir chez lui. Ce