Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/153

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
148
II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

descendent des Maures. En se voyant sur le point d’être gagnés par la civilisation, les sauvages de Bonorva, sans prendre la peine de délibérer, signifièrent leur opposition au tracé. Le gouvernement ne tint aucun compte de cette opposition. Le premier ingénieur qui vint planter le premier jalon reçut une balle dans la tête et mourut sur son jalon. On ne fit aucune recherche à ce sujet, et la route décrit une courbe qui l’allonge de huit lieues.

À Issoudun, l’avilissement croissant du prix des vins qui se consomment sur place, en satisfaisant ainsi le désir de la bourgeoisie de vivre à bon marché, prépare la ruine des vignerons, de plus en plus accablés par les frais de culture et par l’impôt ; de même que la ruine du commerce des laines et du pays est préparée par l’impossibilité d’améliorer la race ovine. Les gens de la campagne ont une horreur profonde pour toute espèce de changement, même pour celui qui leur paraît utile à leurs intérêts. Un Parisien trouve dans la campagne un ouvrier qui mangeait à dîner une énorme quantité de pain, de fromage et de légumes ; il lui prouve que, s’il substituait à cette nourriture une portion de viande, il se nourrirait mieux, à meilleur marché, qu’il travaillerait davantage, et n’userait pas si promptement son capital d’existence. Le Berrichon reconnaît la justesse du calcul. — Mais les disettes ! monsieur répondit-il. — Quoi les disettes ? — Eh ! bien, oui, quoi qu’on dirait ? — Il serait la fable de tout le pays, fit observer le propriétaire sur les terres de qui la scène avait lieu, on le croirait riche comme un bourgeois, il a enfin peur de l’opinion publique, il a peur d’être montré au doigt, de passer pour un homme faible ou malade. Voilà comme nous sommes dans ce pays-ci ! Beaucoup de bourgeois disent cette dernière phrase avec un sentiment d’orgueil caché. Si l’ignorance et la routine sont invincibles dans les campagnes où l’on abandonne les paysans à eux-mêmes, la ville d’Issoudun est arrivée à une complète stagnation sociale. Obligée de combattre la dégénérescence des fortunes par une économie sordide, chaque famille vit chez soi. D’ailleurs, la société s’y trouve à jamais privée de l’antagonisme qui donne du ton aux mœurs. La ville ne connaît plus cette opposition de deux forces à laquelle on a dû la vie des États italiens au Moyen-âge. Issoudun n’a plus de nobles. Les Cottereaux, les Routiers, la Jacquerie, les guerres de religion et la Révolution y ont totalement supprimé la noblesse. La ville est très fière de ce triomphe. Issoudun a constamment refusé, toujours pour maintenir le bon marché des