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due plus d’une demi-heure. » Cet impertinent, qui sans doute avait le droit de l’être, chantonna quelque roulade italienne en se dirigeant vers la fenêtre où stationnait Eugène, autant pour voir la figure de l’étudiant que pour regarder dans la cour.

— Mais monsieur le comte ferait mieux d’attendre encore un instant, Madame a fini, dit Maurice en retournant à l’antichambre.

En ce moment, le père Goriot débouchait près de la porte cochère par la sortie du petit escalier. Le bonhomme tirait son parapluie et se disposait à le déployer, sans faire attention que la grande porte était ouverte pour donner passage à un jeune homme décoré qui conduisait un tilbury. Le père Goriot n’eut que le temps de se jeter en arrière pour n’être pas écrasé. Le taffetas du parapluie avait effrayé le cheval, qui fit un léger écart en se précipitant vers le perron. Ce jeune homme détourna la tête d’un air de colère, regarda le père Goriot, et lui fit, avant qu’il ne sortît, un salut qui peignait la considération forcée que l’on accorde aux usuriers dont on a besoin, ou ce respect nécessaire exigé par un homme taré, mais dont on rougit plus tard. Le père Goriot répondit par un petit salut amical, plein de bonhomie. Ces événements se passèrent avec la rapidité de l’éclair. Trop attentif pour s’apercevoir qu’il n’était pas seul, Eugène entendit tout à coup la voix de la comtesse.

— Ah ! Maxime, vous vous en alliez, dit-elle avec un ton de reproche où se mêlait un peu de dépit.

La comtesse n’avait pas fait attention à l’entrée du tilbury. Rastignac se retourna brusquement et vit la comtesse coquettement vêtue d’un peignoir en cachemire blanc, à nœuds rosés, coiffée négligemment, commet le sont les femmes de Paris au matin ; elle embaumait, elle avait sans doute pris un bain, et sa beauté, pour ainsi dire assouplie, semblait plus voluptueuse ; ses yeux étaient humides. L’œil des jeunes gens sait tout voir : leurs esprits s’unissent aux rayonnements de la femme comme une plante aspire dans l’air des substances qui lui sont propres, Eugène sentit donc la fraîcheur épanouie des mains de cette femme sans avoir besoin d’y toucher. Il voyait, à travers le cachemire, les teintes rosées du corsage que le peignoir, légèrement entr’ouvert, laissait parfois à nu, et sur lequel son regard s’étalait. Les ressources du busc étaient inutiles à la comtesse, la ceinture marquait seule sa taille flexible, son cou invitait à l’amour, ses pieds étaient jolis dans les pantoufles.