Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IX.djvu/353

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Voilà ce que c’est, jeune homme, dit le quadragénaire en peignant ses favoris.

Et rose, elle a vécu ce que vivent les roses,
L’espace d’un matin.

— Ah ! ah ! voici une fameuse soupeaurama, dit Poiret en voyant Christophe qui entrait en tenant respectueusement le potage.

— Pardonnez-moi, monsieur, dit madame Vauquer, c’est une soupe aux choux.

Tous les jeunes gens éclatèrent de rire.

— Enfoncé, Poiret !

— Poirrrrrette enfoncé !

— Marquez deux points à maman Vauquer, dit Vautrin.

— Quelqu’un a-t-il fait attention au brouillard de ce matin ? dit l’employé.

— C’était, dit Bianchon, un brouillard frénétique et sans exemple, un brouillard lugubre, mélancolique, vert, poussif, un brouillard Goriot.

— Goriorama, dit le peintre, parce qu’on n’y voyait goutte.

— Hé, milord Gâôriotte, il être questiônne de véaus.

Assis au bas bout de la table, près de la porte par laquelle on servait, le père Goriot leva la tête en flairant un morceau de pain qu’il avait sous sa serviette, par une vieille habitude commerciale qui reparaissait quelquefois.

— Hé ! bien, lui cria aigrement madame Vauquer d’une voix qui domina le bruit des cuillers, des assiettes et des voix, est-ce que vous ne trouvez pas le pain bon ?

— Au contraire, madame, répondit-il, il est fait avec de la farine d’Étampes, première qualité.

— À quoi voyez-vous cela ? lui dit Eugène.

— À la blancheur, au goût.

— Au goût du nez, puisque vous le sentez, dit madame Vauquer. Vous devenez si économe que vous finirez par trouver le moyen de vous nourrir en humant l’air de la cuisine.

— Prenez alors un brevet d’invention, cria l’employé au Muséum, vous ferez une belle fortune.

— Laissez donc, il fait ça pour nous persuader qu’il a été vermicellier, dit le peintre.