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— Ma chère fille, lui dit le duc en lui prenant la tête et l’embrassant au front, tu ne sais donc pas ce qui se passe ?

— Que se passe-t-il d’extraordinaire, cher père ?

— Mais tout Paris te croit chez monsieur de Montriveau.

— Ma chère Antoinette, tu n’es pas sortie, n’est-ce pas ? dit la princesse en lui tendant la main que la duchesse baisa avec une respectueuse affection.

— Non, chère mère, je ne suis pas sortie. Et, dit-elle en se retournant pour saluer le vidame et le marquis, j’ai voulu que tout Paris me crût chez monsieur de Montriveau.

Le duc leva les mains au ciel, se les frappa désespérément et se croisa les bras.

— Mais vous ne savez donc pas ce qui résultera de ce coup de tête ? dit-il enfin.

La vieille princesse s’était subitement dressée sur ses talons, et regardait la duchesse qui se prit à rougir et baissa les yeux ; madame de Chauvry l’attira doucement et lui dit : — Laissez moi vous baiser, mon petit ange. Puis, elle l’embrassa sur le front fort affectueusement, lui serra la main et reprit en souriant : — Nous ne sommes plus sous les Valois, ma chère fille. Vous avez compromis votre mari, votre état dans le monde ; cependant nous allons aviser à tout réparer.

— Mais, ma chère tante, je ne veux rien réparer. Je désire que tout Paris sache ou dise que j’étais ce matin chez monsieur de Montriveau. Détruire cette croyance, quelque fausse qu’elle soit, est me nuire étrangement.

— Ma fille, vous voulez donc vous perdre, et affliger votre famille ?

— Mon père, ma famille, en me sacrifiant à des intérêts, m’a, sans le vouloir, condamnée à d’irréparables malheurs. Vous pouvez me blâmer d’y chercher des adoucissements, mais certes vous me plaindrez.

— Donnez-vous donc mille peines pour établir convenablement des filles ! dit en murmurant monsieur de Navarreins au vidame.

— Chère petite, dit la princesse en secouant les grains de tabac tombés sur sa robe, soyez heureuse si vous pouvez ; il ne s’agit pas de troubler votre bonheur, mais de l’accorder avec les usages. Nous savons tous, ici, que le mariage est une défectueuse institution tempérée par l’amour. Mais est-il besoin, en prenant un amant, de