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femme vraie entrevoyait le bonheur, et son imagination, vengeresse du temps perdu pour la nature, se plaisait à lui faire flamber les feux inextinguibles du plaisir. Elle atteignait presque aux sensations de l’amour ; car, dans le doute d’être aimée qui la poignait, elle se trouvait heureuse de se dire à elle-même : — Je l’aime ! Le monde et Dieu, elle avait envie de les fouler à ses pieds. Montriveau était maintenant sa religion. Elle passa la journée du lendemain dans un état de stupeur morale mêlé d’agitations corporelles que rien ne pourrait exprimer. Elle déchira autant de lettres qu’elle en écrivit, et fit mille suppositions impossibles. À l’heure où Montriveau venait jadis, elle voulut croire qu’il arriverait, et prit plaisir à l’attendre. Sa vie se concentra dans le seul sens de l’ouïe. Elle fermait parfois les yeux et s’efforçait d’écouter à travers les espaces. Puis elle souhaitait le pouvoir d’anéantir tout obstacle entre elle et son amant afin d’obtenir ce silence absolu qui permet de percevoir le bruit à d’énormes distances. Dans ce recueillement, les pulsations de sa pendule lui furent odieuses, elles étaient une sorte de bavardage sinistre qu’elle arrêta. Minuit sonna dans le salon.

— Mon Dieu ! se dit-elle, le voir ici, ce serait le bonheur. Et cependant il y venait naguère, amené par le désir. Sa voix remplissait ce boudoir. Et maintenant, rien !

En se souvenant des scènes de coquetterie qu’elle avait jouées, et qui le lui avaient ravi, des larmes de désespoir coulèrent de ses yeux pendant long-temps.

— Madame la duchesse, lui dit sa femme de chambre, ne sait peut-être pas qu’il est deux heures du matin, j’ai cru que madame était indisposée.

— Oui, je vais me coucher ; mais rappelez-vous, Suzette, dit madame de Langeais en essuyant ses larmes, de ne jamais entrer chez moi sans ordre, et je ne vous le dirai pas une seconde fois.

Pendant une semaine, madame de Langeais alla dans toutes les maisons où elle espérait rencontrer monsieur de Montriveau. Contrairement à ses habitudes, elle arrivait de bonne heure et se retirait tard ; elle ne dansait plus, elle jouait. Tentatives inutiles ! elle ne put parvenir à voir Armand, de qui elle n’osait plus prononcer le nom. Cependant un soir, dans un moment de désespérance, elle dit à madame de Sérizy, avec autant d’insouciance qu’il lui fut possible d’en affecter : — Vous êtes donc brouillée avec monsieur de Montriveau ? je ne le vois plus chez vous.