Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IX.djvu/164

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Armand se promena dans le salon en étudiant le goût répandu dans les moindres détails. Il admira madame de Langeais, en admirant les choses qui venaient d’elle et en trahissaient les habitudes, avant qu’il pût en saisir la personne et les idées. Après une heure environ, la duchesse sortit de sa chambre sans faire de bruit. Montriveau se retourna, la vit marchant avec la légèreté d’une ombre, et tressaillit. Elle vint à lui, sans lui dire bourgeoisement : — Comment me trouvez-vous ? Elle était sûre d’elle, et son regard fixe disait : — Je me suis ainsi parée pour vous plaire. Une vieille fée, marraine de quelque princesse méconnue, avait seule pu tourner autour du cou de cette coquette personne le nuage d’une gaze dont les plis avaient des tons vifs que soutenait encore l’éclat d’une peau satinée. La duchesse était éblouissante. Le bleu clair de sa robe, dont les ornements se répétaient dans les fleurs de sa coiffure, semblait donner, par la richesse de la couleur, un corps à ses formes frêles devenues tout aériennes ; car, en glissant avec rapidité vers Armand, elle fit voler les deux bouts de l’écharpe qui pendait à ses côtés, et le brave soldat ne put alors s’empêcher de la comparer aux jolis insectes bleus qui voltigent au-dessus des eaux, parmi les fleurs, avec lesquelles ils paraissent se confondre.

— Je vous ai fait attendre, dit-elle de la voix que savent prendre les femmes pour l’homme auquel elles veulent plaire.

— J’attendrais patiemment une éternité, si je savais trouver la Divinité belle comme vous l’êtes ; mais ce n’est pas un compliment que de vous parler de votre beauté, vous ne pouvez plus être sensible qu’à l’adoration. Laissez-moi donc seulement baiser votre écharpe.

— Ah, fi ! dit-elle en faisant un geste d’orgueil, je vous estime assez pour vous offrir ma main.

Et elle lui tendit à baiser sa main encore humide. Une main de femme, au moment où elle sort de son bain de senteur, conserve je ne sais quelle fraîcheur douillette, une mollesse veloutée dont la chatouilleuse impression va des lèvres à l’âme. Aussi, chez un homme épris qui a dans les sens autant de volupté qu’il a d’amour au cœur, ce baiser, chaste en apparence, peut-il exciter de redoutables orages.

— Me la tendrez-vous toujours ainsi ? dit humblement le général en baisant avec respect cette main dangereuse.

— Oui ; mais nous en resterons là, dit-elle en souriant.