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combat violent qui lui déchirait le cœur lui parut avoir une réaction horrible, elle envoya chercher le médecin ; mais, en même temps, elle fit remettre chez La Palférine la lettre suivante, où elle se vengea de Calyste avec une sorte de rage.

« Mon ami, venez me voir, je suis au désespoir. Antoine vous a renvoyé quand votre arrivée eût mis fin à l’un des plus horribles cauchemars de ma vie en me délivrant d’un homme que je hais, et que je ne reverrai plus jamais, je l’espère. Je n’aime que vous au monde, et je n’aimerai plus que vous, quoique j’aie le malheur de ne pas vous plaire autant que je le voudrais… »

Elle écrivit quatre pages qui, commençant ainsi, finissaient par une exaltation beaucoup trop poétique pour être typographiée, mais où Béatrix se compromettait tant qu’elle la termina par : « Suis-je assez à ta merci ? Ah ! rien ne me coûtera pour te prouver combien tu es aimé. » Et elle signa, ce qu’elle n’avait jamais fait ni pour Calyste ni pour Conti.

Le lendemain, à l’heure où le jeune comte vint chez la marquise, elle était au bain ; Antoine le pria d’attendre. À son tour, il fit renvoyer Calyste, qui, tout affamé d’amour, vint de bonne heure, et qu’il regarda par la fenêtre au moment où il remontait en voiture désespéré.

— Ah ! Charles, dit la marquise en entrant dans son salon, vous m’avez perdue !…

— Je le sais bien, madame, répondit tranquillement La Palférine. Vous m’avez juré que vous n’aimiez que moi, vous m’avez offert de me donner une lettre dans laquelle vous écririez les motifs que vous auriez de vous tuer, afin qu’en cas d’infidélité je pusse vous empoisonner sans avoir rien à craindre de la justice humaine, comme si des gens supérieurs avaient besoin de recourir au poison pour se venger. Vous m’avez écrit : Rien ne me coûtera pour te prouver combien tu es aimé !… Eh ! bien, je trouve une contradiction dans ce mot ! Vous m’avez perdue ! avec cette fin de lettre… Je saurai maintenant si vous avez eu le courage de rompre avec du Guénic…

— Eh bien ! tu t’es vengé de lui par avance, dit-elle en lui sautant au cou. Et, de cette affaire-là, toi et moi nous sommes liés à jamais…

— Madame, répondit froidement le prince de la Bohême, si vous me voulez pour ami, j’y consens ; mais à des conditions…