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— Mais il les a toutes faites, m’a-t-on dit.

— Toutes, non, répondit Nathan, il n’a pas encore fait celle d’aimer une honnête femme.

Six jours après le complot ourdi sur le boulevard des Italiens entre Maxime et le séduisant comte Charles-Édouard, ce jeune homme à qui la nature avait donné sans doute par raillerie une figure délicieusement mélancolique, fit sa première invasion au nid de la colombe de la rue de Chartres, qui, pour cette réception, prit une soirée où Calyste était obligé d’aller dans le monde avec sa femme. Lorsque vous rencontrerez La Palférine ou quand vous arriverez au Prince de la Bohême, dans le troisième Livre de cette longue histoire de nos mœurs, vous concevrez parfaitement le succès obtenu dans une seule soirée par cet esprit étincelant, par cette verve inouïe, surtout si vous vous figurez le bien-jouer du cornac qui consentit à le servir dans ce début. Nathan fut bon camarade, il fit briller le jeune comte, comme un bijoutier montrant une parure à vendre en fait scintiller les diamants. La Palférine se retira discrètement le premier, il laissa Nathan et la comtesse ensemble, en comptant sur la collaboration de l’auteur célèbre, qui fut admirable. En voyant la marquise abasourdie, il lui mit le feu dans le cœur par des réticences qui remuèrent en elle des fibres de curiosité qu’elle ne se connaissait pas. Nathan fit entendre ainsi que l’esprit de La Palférine n’était pas tant la cause de ses succès auprès des femmes que sa supériorité dans l’art d’aimer, et il le grandit démesurément.

C’est ici le lieu de constater un nouvel effet de cette grande loi des Contraires qui détermine beaucoup de crises du cœur humain et qui rend raison de tant de bizarreries, qu’on est forcé de la rappeler quelquefois, tout aussi bien que la loi des Similaires. Les courtisanes, pour embrasser tout le sexe féminin qu’on baptise, qu’on débaptise et rebaptise à chaque quart de siècle, conservent toutes au fond de leur cœur un florissant désir de recouvrer leur liberté, d’aimer purement, saintement et noblement un être auquel elles sacrifient tout (Voir Splendeurs et Misères des Courtisanes). Elles éprouvent ce besoin antithétique avec tant de violence, qu’il est rare de rencontrer une de ces femmes qui n’ait pas aspiré plusieurs fois à la vertu par l’amour. Elles ne se découragent pas malgré d’affreuses tromperies. Au contraire, les femmes contenues par leur éducation, par le rang qu’elles occupent, enchaî-