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pas éveiller de soupçons, bois du vin, des liqueurs à mort ! Je vais dire à Aurélie de te mettre à côté de Nathan. Seulement, mon petit, il faudra maintenant nous rencontrer tous les soirs, sur le boulevard de la Madeleine, à une heure du matin, toi pour me rendre compte de tes progrès, moi pour te donner des instructions.

— On y sera, mon maître… dit le jeune comte en s’inclinant.

— Comment nous fais-tu dîner avec un drôle habillé comme un premier garçon de restaurant ? demanda Maxime à l’oreille de madame Schontz en lui désignant du Ronceret.

— Tu n’as donc jamais vu l’Héritier ? Du Ronceret d’Alençon.

— Monsieur, dit Maxime à Fabien, vous devez connaître mon ami d’Esgrignon ?

— Il y a longtemps que Victurnien ne me connaît plus, répondit Fabien ; mais nous avons été très liés dans notre première jeunesse.

Le dîner fut un de ceux qui ne se donnent qu’à Paris, et chez ces grandes dissipatrices, car elles surprennent les gens les plus difficiles. Ce fut à un souper semblable, chez une courtisane belle et riche comme madame Schontz, que Paganini déclara n’avoir jamais fait pareille chère chez aucun souverain, ni bu de tels vins chez aucun prince, ni entendu de conversation si spirituelle, ni vu reluire de luxe si coquet.

Maxime et madame Schontz rentrèrent dans le salon les premiers, vers dix heures, en laissant les convives qui ne gazaient plus les anecdotes et qui se vantaient leurs qualités en collant leurs lèvres visqueuses au bord des petits verres sans pouvoir les vider.

— Eh bien, ma petite, dit Maxime, tu ne t’es pas trompée, oui, je viens pour tes beaux yeux, il s’agit d’une grande affaire, il faut quitter Arthur ; mais je me charge de te faire offrir deux cent mille francs par lui.

— Et pourquoi le quitterais-je, ce pauvre homme ?

— Pour te marier avec cet imbécile venu d’Alençon exprès pour cela. Il a été déjà juge, je le ferai nommer président à la place du père de Blondet qui va sur quatre-vingt-deux ans ; et, si tu sais mener ta barque, ton mari deviendra député. Vous serez des personnages et tu pourras enfoncer madame la comtesse du Bruel…

— Jamais ! dit madame Schontz, elle est comtesse.

— Est-il d’étoffe à devenir comte ?…

— Tiens, il a des armes, dit Aurélie en cherchant une lettre