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créent des dignités postiches, des présidents, des vice-présidents et des secrétaires de sociétés dont le nombre dépasse à Paris celui des questions sociales qu’on cherche à résoudre. On a démoli la grande société pour en faire un millier de petites à l’image de la défunte. Ces organisations parasites ne révèlent-elles pas la décomposition ? n’est-ce pas le fourmillement des vers dans le cadavre ? Toutes ces sociétés sont filles de la même mère, la Vanité. Ce n’est pas ainsi que procèdent la Charité catholique ou la vraie Bienfaisance, elles étudient les maux sur les plaies en les guérissant, et ne pérorent pas en assemblée sur les principes morbifiques pour le plaisir de pérorer.

Fabien du Ronceret, sans être un homme supérieur, avait deviné, par l’exercice de ce sens avide particulier à la Normandie, tout le parti qu’il pouvait tirer de ce vice public. Chaque époque a son caractère que les gens habiles exploitent. Fabien ne pensait qu’à faire parler de lui. « — Mon cher, il faut faire parler de soi pour être quelque chose ! disait-il en parlant au roi d’Alençon, à du Bousquier, un ami de son père. Dans six mois je serai plus connu que vous ! » Fabien traduisait ainsi l’esprit de son temps, il ne le dominait pas, il y obéissait. Il avait débuté dans la Bohême, un district de la topographie morale de Paris (Voir Un Prince de la Bohême, Scènes de la Vie Parisienne), où il fut connu sous le nom de l’héritier à cause de quelques prodigalités préméditées. Du Ronceret avait profité des folies de Couture pour la jolie madame Cadine, une des actrices nouvelles à qui l’on accordait le plus de talent sur une des scènes secondaires, et à qui, durant son opulence éphémère, il avait arrangé, rue Blanche, un délicieux rez-de-chaussée à jardin. Ce fut ainsi que du Ronceret et Couture firent connaissance. Le Normand, qui voulait du luxe tout prêt et tout fait, acheta le mobilier de Couture et les embellissements qu’il était obligé de laisser dans l’appartement, un kiosque où l’on fumait, une galerie en bois rustiqué garnie de nattes indiennes et ornée de poteries pour gagner le kiosque par les temps de pluie. Quand on complimentait l’Héritier sur son appartement, il l’appelait sa tanière. Le provincial se gardait bien de dire que Grindot l’architecte y avait déployé tout son savoir-faire, comme Stidmann dans les sculptures, et Léon de Lora dans la peinture ; car il avait pour défaut capital cet amour-propre qui va jusqu’au mensonge dans le désir de se grandir. L’Héritier compléta ces