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mère, quoique vous n’ayez eu qu’un fils, tâchez de me remplacer près de ma chère Sabine !

Sur le devant de cette voiture, on voyait un chasseur qui servait de courrier, et à l’arrière deux femmes de chambre à qui les cartons et les paquets mis par-dessus les vaches cachaient le paysage. Les quatre postillons, vêtus de leurs plus beaux uniformes, car chaque voiture était attelée de quatre chevaux, portaient tous des bouquets à leur boutonnière et des rubans à leurs chapeaux que le duc de Grandlieu eut mille peines à leur faire quitter, même en les payant ; le postillon français est éminemment intelligent, mais il tient à ses plaisanteries : ceux-là prirent l’argent, et à la barrière ils remirent leurs rubans.

— Allons, adieu, Sabine, dit la duchesse, souviens-toi de ta promesse, écris-moi souvent. Calyste, je ne vous dis plus rien, mais vous me comprenez !…

Clotilde, appuyée sur sa plus jeune sœur Athénaïs à qui souriait le vicomte Juste de Grandlieu, jeta sur la mariée un regard fin à travers ses larmes, et suivit des yeux la voiture qui disparut au milieu des batteries réitérées de quatre fouets plus bruyants que des pistolets de tir. En quelques secondes, le gai convoi atteignit à l’esplanade des Invalides, gagna par le quai le pont d’Iéna, la barrière de Passy, la route de Versailles, enfin le grand chemin de la Bretagne.

N’est-il pas au moins singulier que les artisans de la Suisse et de l’Allemagne, que les grandes familles de France et d’Angleterre obéissent au même usage et se mettent en voyage après la cérémonie nuptiale ? Les grands se tassent dans une boîte qui roule. Les petits s’en vont gaiement par les chemins, s’arrêtant dans les bois, banquetant à toutes les auberges, tant que dure leur joie ou plutôt leur argent. Le moraliste serait fort embarrassé de décider où se trouve la plus belle qualité de pudeur, dans celle qui se cache au public en inaugurant le foyer et la couche domestiques comme font les bons bourgeois, ou dans celle qui se cache à la famille en se publiant au grand jour des chemins, à la face des inconnus ? Les âmes délicates doivent désirer la solitude et fuir également le monde et la famille. Le rapide amour qui commence un mariage est un diamant, une perle, un joyau ciselé par le premier des arts, un trésor à enterrer au fond du cœur.

Qui peut raconter une lune de miel, si ce n’est la mariée ? Et