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grosse de moi, son septième enfant. Nos trésors ont été volés par un des amis de mon grand-père, en sorte que nous étions ruinés. Ma mère, qui vivait du produit de ses diamants vendus un à un, a épousé en 1799 monsieur Yung, mon beau-père, un fournisseur. Mais ma mère est morte, je me suis brouillé avec mon beau-père qui, entre nous, est un gredin ; il vit encore, mais nous ne nous voyons point. Ce chinois-là nous a laissés tous les sept sans nous dire : ─ Es-tu chien ? es-tu loup ? Voilà comment, de désespoir, je suis parti en 1813 simple conscrit… Vous ne sauriez croire avec quelle joie ce vieux Ali de Tébélen a reçu le petit-fils de Czerni-Georges. Ici, je me fais appeler simplement Georges. Le pacha m’a donné un sérail…

— Vous avez eu un sérail ? dit Oscar.

— Étiez-vous pacha à beaucoup de queues ? demanda Mistigris.

— Comment ne savez-vous pas, reprit Georges, qu’il n’y a que le sultan qui fasse des pachas, et que mon ami Tébélen, car nous étions amis comme Bourbons, se révoltait contre le Padischah ! Vous savez, ou vous ne savez pas que le vrai nom du Grand-Seigneur est Padischah, et non pas Grand-Turc ou Sultan. Ne croyez pas que ce soit grand’chose, un sérail : autant avoir un troupeau de chèvres. Ces femmes-là sont bien bêtes, et j’aime cent fois mieux les grisettes de la Chaumière, à Montparnasse.

— C’est plus près, dit le comte de Sérisy.

— Les femmes de sérail ne savent pas un mot de français, et la langue est indispensable pour s’entendre. Ali m’a donné cinq femmes légitimes et dix esclaves. À Janina, c’est comme si je n’avais rien eu. Dans l’Orient, voyez-vous, avoir des femmes, c’est très mauvais genre, on en a comme nous avons ici Voltaire et Rousseau ; mais qui jamais ouvre son Voltaire ou son Rousseau ? Personne. Et cependant le grand genre est d’être jaloux. On coud une femme dans un sac et on la jette à l’eau sur un simple soupçon, d’après un article de leur code.

— En avez-vous jeté ? demanda le fermier.

— Moi, fi donc, un Français ! je les ai aimées.

Là-dessus Georges refrisa, retroussa ses moustaches et prit un air rêveur. On entrait à Saint-Denis où Pierrotin s’arrêta devant la porte de l’aubergiste qui vend les célèbres talmouses et où tous les voyageurs descendent. Intrigué par les apparences de vérité mêlées aux plaisanteries de Georges, le comte remonta promptement