Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/452

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de son compagnon de voyage était long, fin de forme et pâle. Le front de ce jeune homme avait de l’ampleur, et sa poitrine moulait un gilet façon cachemire. En admirant un pantalon collant gris de fer, une redingote à brandebourgs et à olives serrée à la taille, il semblait à Oscar que ce romanesque inconnu, doué de tant d’avantages, abusait envers lui de sa supériorité, de même qu’une femme laide est blessée par le seul aspect d’une belle femme. Le bruit du talon des bottes à fer que l’inconnu faisait un peu trop sonner au goût d’Oscar lui retentissait jusqu’au cœur. Enfin Oscar était aussi gêné dans ses vêtements faits peut-être à la maison et taillés dans les vieux habits de son beau-père, que cet envié garçon se trouvait à l’aise dans les siens. — Ce gars-là doit avoir quelques dix francs dans son gousset, pensa Oscar. Le jeune homme se retourna. Que devint Oscar en apercevant une chaîne d’or passée autour du cou, et au bout de laquelle se trouvait sans doute une montre d’or. Cet inconnu prit alors aux yeux d’Oscar les proportions d’un personnage. Élevé rue de la Cerisaie depuis 1815, pris et reconduit au collége les jours de congé par son père, Oscar n’avait pas eu d’autres points de comparaison, depuis son âge de puberté, que le pauvre ménage de sa mère. Tenu sévèrement selon le conseil de Moreau, il n’allait pas souvent au spectacle, et il ne s’élevait pas alors plus haut que le théâtre de l’Ambigu-Comique où ses yeux n’apercevaient pas beaucoup d’élégance, si toutefois l’attention qu’un enfant prête au mélodrame lui permet d’examiner la salle. Son beau-père portait encore, selon la mode de l’Empire, sa montre dans le gousset de ses pantalons, et laissait pendre sur son abdomen une grosse chaîne d’or terminée par un paquet de breloques hétéroclites, des cachets, une clef à tête ronde et plate où se voyait un paysage en mosaïque. Oscar, qui regardait ce vieux luxe comme un nec plus ultra, fut donc étourdi par cette révélation d’une élégance supérieure et négligente. Ce jeune homme montrait abusivement des gants soignés, et semblait vouloir aveugler Oscar en agitant avec grâce une élégante canne à pomme d’or. Oscar arrivait à ce dernier quartier de l’adolescence où de petites choses font de grandes joies et de grandes misères, où l’on préfère un malheur à une toilette ridicule, où l’amour-propre, en ne s’attachant pas aux grands intérêts de la vie, se prend à des frivolités, à la mise, à l’envie de paraître homme. On se grandit alors, et la jactance est d’autant plus exorbitante qu’elle s’exerce sur des