Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/398

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terrompant, à la merci de la brutalité des passions que vous inspirerez. N’est-il pas de l’essence du génie et de la beauté de briller, d’attirer les regards, d’exciter les convoitises et les méchancetés ? Paris est le désert sans les Bédouins ; Paris est le seul lieu du monde où l’on puisse cacher sa vie quand on doit vivre de son travail. De quoi vous plaignez-vous ? Que suis-je ? un domestique de plus, je suis monsieur Gobain, voilà tout. Si vous avez quelque duel à soutenir, un témoin peut vous être nécessaire. — N’importe, sachez qui je suis. J’ai déjà dit : je veux ! maintenant je vous en prie, reprit-elle avec une grâce (que vous avez à commandement, fit le consul en regardant les femmes). — Eh bien ! demain à pareille heure je vous dirai ce que j’aurai découvert, lui répondis-je. Mais n’allez pas me prendre en haine ? Agiriez-vous comme les autres femmes ? — Que font les autres femmes ?… — Elles nous ordonnent d’immenses sacrifices, et quand ils sont accomplis, elles nous les reprochent, quelque temps après, comme une injure. — Elles ont raison, si ce qu’elles ont demandé vous a paru des sacrifices… reprit-elle avec malice. — Remplacez le mot sacrifice par le mot efforts, et… — Ce sera, fit-elle, une impertinence. — Pardonnez-moi, lui dis-je, j’oubliais que la femme et le pape sont infaillibles. — Mon Dieu, dit-elle après une longue pause, deux mots seulement peuvent troubler cette paix si chèrement achetée et dont je jouis comme d’une fraude… » Elle se leva, ne fit plus attention à moi. — « Où aller ? dit-elle. Que devenir ?… Faudra-t-il quitter cette douce retraite, arrangée avec tant de soin pour y finir mes jours ? — Y finir vos jours ? lui dis-je avec un effroi visible. N’avez-vous donc jamais pensé qu’il viendrait un moment où vous ne pourriez plus travailler, où le prix des fleurs et des modes baissera par la concurrence ?… — J’ai déjà mille écus d’économies, dit-elle. — Mon Dieu ! combien de privations cette somme ne représente-t-elle pas ?… m’écriai-je. — À demain, me dit-elle, laissez-moi. Ce soir, je ne suis plus moi-même, je veux être seule. Ne dois-je pas recueillir mes forces, en cas de malheur ; car, si vous saviez quelque chose, d’autres que vous seraient instruits, et alors… Adieu, dit-elle d’un ton bref et avec un geste impératif. — À demain le combat, » répondis-je en souriant, afin de ne pas perdre le caractère d’insouciance que je donnais à cette scène. Mais en sortant par la longue avenue, je répétai : À demain le combat ! Et le comte que j’allai, comme tous les soirs, trouver