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terre de la Bastie monte à quatre millions, et votre père a consenti à tous les achats. Vous avez deux millions en dot, et le colonel en compte un pour votre établissement à Paris, un hôtel et le mobilier ! Calculez.

— Ah ! je puis être duchesse d’Hérouville, dit Modeste en regardant Butscha.

— Sans ce comédien de Canalis, vous auriez gardé sa cravache, comme venant de moi, dit le clerc en plaidant ainsi la cause de La Brière.

— Monsieur Butscha, voudriez-vous par hasard me marier à votre goût ? dit Modeste en riant.

— Ce digne garçon aime autant que moi, vous l’avez aimé pendant huit jours, et c’est un homme de cœur, répondit le clerc.

— Et peut-il lutter avec une charge de la Couronne ? il n’y en a que six : grand-aumônier, chancelier, grand-chambellan, grand-maître, connétable, grand-amiral ; mais on ne nomme plus de connétables.

— Dans six mois, le peuple, mademoiselle, qui se compose d’une infinité de Butscha méchants, peut souffler sur toutes ces grandeurs. Et, d’ailleurs, que signifie la noblesse aujourd’hui ? Il n’y a pas mille vrais gentilshommes en France. Les d’Hérouville viennent d’un huissier à verge de Robert de Normandie. Vous aurez bien des déboires avec ces deux vieilles filles à visage laminé ! Si vous tenez au titre de duchesse, vous êtes du Comtat, le Pape aura bien autant d’égards pour vous que pour des marchands, il vous vendra quelque duché en nia ou en agno. Ne jouez donc pas votre bonheur pour une charge de la Couronne.

Les réflexions de Canalis pendant la nuit furent entièrement positives. Il ne vit rien de pis au monde que la situation d’un homme marié sans fortune. Encore tremblant du danger que lui avait fait courir sa vanité mise en jeu près de Modeste, le désir de l’emporter sur le duc d’Hérouville, et sa croyance aux millions de monsieur Mignon, il se demanda ce que la duchesse de Chaulieu devait penser de son séjour au Havre aggravé par un silence épistolaire de quatorze jours, alors qu’à Paris ils s’écrivaient l’un à l’autre quatre ou cinq lettres par semaine.

— Et la pauvre femme qui travaille pour m’obtenir le cordon de commandeur de la Légion et le poste de ministre auprès du grand-duc de Bade !… s’écria-t-il.