Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, IV.djvu/251

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gression dans toutes ses conséquences, hors le crime et la lâcheté. Un homme peut avoir encore des vertus, après avoir trompé une femme, ce qui veut tout bonnement dire qu’il ne reconnaît pas en elle les trésors qu’il y cherchait ; tandis qu’il n’y a qu’une reine, une actrice, ou une femme placée tellement au-dessus d’un homme qu’elle soit pour lui comme une reine, qui puissent aller au-devant de lui, sans trop de blâme. Mais une jeune fille !… elle ment alors à tout ce que Dieu a fait fleurir de saint, de beau, de grand en elle, quelque grâce, quelque poésie, quelques précautions qu’elle mette à cette faute.

— Rechercher le maître et trouver le domestique !… Avoir rejoué les Jeux de l’Amour et du Hasard de mon côté seulement ! dit-elle avec amertume : oh ! je ne m’en relèverai jamais…

— Folle !… Monsieur Ernest de La Brière est, à mes yeux, un personnage au moins égal à monsieur le baron de Canalis : il a été le secrétaire particulier d’un premier ministre, il est Conseiller référendaire à la Cour des Comptes, il a du cœur, il t’adore ; mais il ne compose pas de vers… Non, j’en conviens, il n’est pas poëte ; mais il peut avoir le cœur plein de poésie. Enfin, ma pauvre enfant, dit-il à un geste de dégoût que fit Modeste, tu les verras l’un et l’autre, le faux et le vrai Canalis…

— Oh ! papa !

— Ne m’as-tu pas juré de m’obéir en tout, dans l’affaire de ton mariage ? Eh bien ! tu pourras choisir entre eux celui qui te plaira pour mari. Tu as commencé par un poëme, tu finiras par une idylle bucolique en essayant de surprendre le vrai caractère de ces messieurs dans quelques aventures champêtres, la chasse ou la pêche !

Modeste baissa la tête, elle revint au Chalet avec son père en l’écoutant, en répondant par des monosyllabes. Elle était tombée au fond de la boue, et humiliée, de cette alpe où elle avait cru voler jusqu’au nid d’un aigle. Pour employer les poétiques expressions d’un auteur de ce temps : « après s’être senti la plante des pieds trop tendre pour cheminer sur les tessons de verre de la Réalité, la Fantaisie, qui, dans cette frêle poitrine réunissait tout de la femme, depuis les rêveries semées de violettes de la jeune fille pudique jusqu’aux désirs insensés de la courtisane, l’avait amenée au milieu de ses jardins enchantés, où, surprise amère ! elle voyait au lieu de sa fleur sublime, sortir de terre les jambes velues et entortillées de la noire mandragore. » Des hauteurs mystiques de son