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mer, intéresser. Au contact de ces jeunes maris qui laissaient les plus nobles, les plus belles créatures pour les délices du cigare et du whist, pour les sublimes conversations du club, ou pour les préoccupations du turf, bien des vertus domestiques furent atteintes chez le jeune gentilhomme breton. Le maternel désir d’une femme qui ne veut pas ennuyer son mari, vient toujours en aide aux dissipations des jeunes mariés. Une femme est si fière de voir revenir à elle un homme à qui elle laisse toute sa liberté !…

Un soir, en octobre de cette année, pour fuir les cris d’un enfant en sevrage, Calyste, à qui Sabine ne pouvait pas voir sans douleur un pli au front, alla, conseillé par elle, aux Variétés, où l’on donnait une pièce nouvelle. Le valet de chambre, chargé de louer une stalle à l’orchestre, l’avait prise assez près de cette partie de la salle appelée l’avant-scène. Au premier entr’acte, en regardant autour de lui, Calyste aperçut, dans une des deux loges d’avant-scène, au rez-de-chaussée, à quatre pas de lui, madame de Rochefide.

Béatrix à Paris ! Béatrix en public ! ces deux idées traversèrent le cœur de Calyste comme deux flèches. La revoir après trois ans bientôt ! Comment expliquer le bouleversement qui se fit dans l’âme d’un amant qui, loin d’oublier, avait quelquefois si bien épousé Béatrix dans sa femme, que sa femme s’en était aperçu ! À qui peut-on expliquer que le poëme d’un amour perdu, méconnu, mais toujours vivant dans le cœur du mari de Sabine, y rendit obscures les suavités conjugales, la tendresse ineffable de la jeune épouse. Béatrix devint la lumière, le jour, le mouvement, la vie et l’inconnu ; tandis que Sabine fut le devoir, les ténèbres, le prévu ! L’une fut en un moment le plaisir, et l’autre l’ennui. Ce fut un coup de foudre. Dans sa loyauté, le mari de Sabine eut la noble pensée de quitter la salle. À la sortie de l’orchestre, il vit la porte de la loge entr’ouverte, et ses pieds l’y menèrent en dépit de sa volonté. Le jeune Breton y trouva Béatrix entre deux hommes des plus distingués, Canalis et Nathan, un homme politique et un homme littéraire. Depuis bientôt trois ans que Calyste ne l’avait vue, madame de Rochefide avait étonnamment changé ; mais, quoique sa métamorphose eût atteint la femme, elle devait n’en être que plus poétique et plus attrayante pour Calyste. Jusqu’à l’âge de trente ans, les jolies femmes de Paris ne demandent qu’un vêtement à la toilette ; mais en passant sous le porche fatal de la tren-