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ne m’écrivez plus, ou donnez-moi l’espérance. Que je vous entrevoie ou je quitte la partie. Faut-il vous dire adieu ? Me permettez-vous de signer,

» Votre ami ? »



XI.
à monsieur de canalis.


« Quelle flatterie ! avec quelle rapidité le grave Anselme est devenu le beau Léandre ? À quoi dois-je attribuer un tel changement ? est-ce à ce noir que j’ai mis sur du blanc, à ces idées qui sont aux fleurs de mon âme ce qu’est une rose dessinée au crayon noir aux roses du parterre ? ou au souvenir de la jeune fille prise pour moi, et qui est à ma personne ce que la femme de chambre est à la maîtresse ? Avons-nous changé de rôle ? Suis-je la Raison ? êtes-vous la Fantaisie ? Trêve de plaisanterie. Votre lettre m’a fait connaître d’enivrants plaisirs d’âme, les premiers que je ne devrai pas aux sentiments de la famille. Que sont, comme a dit un poëte, les liens du sang qui ont tant de poids sur les âmes ordinaires en comparaison de ceux que nous forge le ciel dans les sympathies mystérieuses ? Laissez-moi vous remercier… Non, on ne remercie pas de ces choses… soyez béni du bonheur que vous m’avez causé ; soyez heureux de la joie que vous avez répandue dans mon âme. Vous m’avez expliqué quelques apparentes injustices de la vie sociale. Il y a je ne sais quoi de brillant dans la gloire, de mâle, qui ne va bien qu’à l’Homme, et Dieu nous a défendu de porter cette auréole en nous laissant l’amour, la tendresse pour en rafraîchir les fronts ceints de sa terrible lumière. J’ai senti ma mission, ou plutôt vous me l’avez confirmée.

» Quelquefois, mon ami, je me suis levée le matin dans un état d’inconcevable douceur. Une sorte de paix, tendre et divine, me donnait l’idée du ciel. Ma première pensée était comme une bénédiction. J’appelais ces matinées, mes petits levers d’Allemagne, en opposition avec mes couchers de soleil du Midi, pleins d’actions héroïques, de batailles, de fêtes romaines, et de poëmes ardents. Eh bien ! après avoir lu cette lettre où vous ressentez une fié-