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père, et par ma mère. Par ma mère, je tiens à toutes les pages de l’almanach de Gotha. Enfin, mes précautions sont bien prises, il n’est au pouvoir d’aucun homme ni même au pouvoir de l’autorité, de démasquer mon incognito. Je resterai voilée, inconnue. Quant à ma personne, et quant à mes propres, comme disent les Normands, rassurez-vous, je suis au moins aussi belle que la petite personne (heureuse sans le savoir) sur qui vos regards se sont arrêtés, et je ne crois pas être une pauvresse, encore que dix fils de pairs de France ne m’accompagnent pas dans mes promenades ! J’ai vu jouer déjà pour moi le vaudeville ignoble de l’héritière, adorée pour ses millions. Enfin, n’essayez d’aucune manière, même par pari, d’arriver à moi. Hélas ! quoique libre, je suis gardée, et par moi-même d’abord, et par des gens de courage qui n’hésiteraient point à vous planter un couteau dans le cœur, si vous vouliez pénétrer dans ma retraite. Je ne dis point ceci pour exciter votre courage ou votre curiosité, je crois n’avoir besoin d’aucun de ces sentiments pour vous intéresser, pour vous attacher.

» Je réponds maintenant à la seconde édition considérablement augmentée de votre premier sermon.

» Voulez-vous un aveu ? Je me suis dit en vous voyant si défiant, et me prenant pour une Corinne, dont les improvisations m’ont tant ennuyée, que, déjà, beaucoup de dixièmes Muses vous avaient emmené, vous tenant par la curiosité, dans leurs doubles vallons, et vous avaient proposé de goûter aux fruits de leurs parnasses de pensionnaire… Oh ! soyez en pleine sécurité, mon ami ; si j’aime la poésie, je n’ai point de petits vers en portefeuille, et mes bas sont et resteront d’une entière blancheur. Vous ne serez point ennuyé par des légèretés en un ou deux volumes. Enfin si je vous dis jamais : Accourez ! vous ne trouverez point, vous le savez maintenant, une vieille fille, pauvre et laide.

» Oh ! mon ami, si vous saviez combien je regrette que vous soyez venu au Havre ! Vous avez ainsi modifié ce que vous appelez mon roman. Non, Dieu seul peut peser dans ses mains puissantes le trésor que je réservais à un homme assez grand, assez confiant, assez perspicace pour partir de chez lui, sur la foi de mes lettres, après avoir pénétré pas à pas dans l’étendue de mon cœur et arriver à notre premier rendez-vous avec la simplicité d’un enfant ! Je rêvais cette innocence à un homme de génie.