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prochait la mélancolie de Molière à toutes les femmes du dix-septième siècle.

— Comment n’accourt-il pas, se demandait-elle, vers chaque homme de génie, une femme aimante, riche, belle qui se fasse son esclave comme dans Lara, le page mystérieux ?

Elle avait, vous le voyez, bien compris le pianto que le poëte anglais a chanté par le personnage de Gulnare. Elle admirait beaucoup l’action de cette jeune Anglaise qui vint se proposer à Crébillon fils, et qu’il épousa. L’histoire de Sterne et d’Éliza Draper fit sa vie et son bonheur pendant quelques mois. Devenue en idée l’héroïne d’un roman pareil, plus d’une fois elle étudia le rôle sublime d’Éliza. L’admirable sensibilité, si gracieusement exprimée dans cette correspondance, mouilla ses yeux des larmes qui manquèrent, dit-on, dans les yeux du plus spirituel des auteurs anglais.

Modeste vécut donc encore quelque temps par la compréhension, non-seulement des œuvres, mais encore du caractère de ses auteurs favoris. Goldsmith, l’auteur d’Obermann, Charles Nodier, Maturin, les plus pauvres, les plus souffrants, étaient ses dieux ; elle devinait leurs douleurs, elle s’initiait à ces dénûments entremêlés de contemplations célestes, elle y versait les trésors de son cœur ; elle se voyait l’auteur du bien-être matériel de ces artistes, martyres de leurs facultés. Cette noble compatissance, cette intuition des difficultés du travail, ce culte du talent, est une des plus rares fantaisies qui jamais aient voleté dans des âmes de femme. C’est d’abord comme un secret entre la femme et Dieu ; car là rien d’éclatant, rien de ce qui flatte la vanité, cet auxiliaire si puissant des actions en France.

De cette troisième période d’idées, naquit chez Modeste un violent désir de pénétrer au cœur d’une de ces existences anormales, de connaître les ressorts de la pensée, les malheurs intimes du génie, et ce qu’il veut, et ce qu’il est. Ainsi, chez elle, les coups de tête de la Fantaisie, les voyages de son âme dans le vide, les pointes poussées dans les ténèbres de l’avenir, l’impatience d’un amour en bloc à porter sur un point, la noblesse de ses idées quant à la vie, le parti pris de souffrir dans une sphère élevée au lieu de barboter dans les marais d’une vie de province, comme avait fait sa mère, l’engagement qu’elle maintenait avec elle-même de ne pas faillir, de respecter le foyer paternel et de n’y apporter que de la joie, tout ce monde de sentiments se produisit enfin sous une forme. Modeste vou-