Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/95

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nesse, avec cette ferveur qui communique aux premières passions une grâce ineffable, une candeur que l’homme ne retrouve plus qu’en ruines lorsque plus tard il aime encore : délicieuses passions, presque toujours délicieusement savourées par les femmes qui les font naître, parce qu’à ce bel âge de trente ans, sommité poétique de la vie des femmes, elles peuvent en embrasser tout le cours et voir aussi bien dans le passé que dans l’avenir. Les femmes connaissent alors tout le prix de l’amour et en jouissent avec la crainte de le perdre : alors leur âme est encore belle de la jeunesse qui les abandonne, et leur passion va se renforçant toujours d’un avenir qui les effraie.

— J’aime, disait cette fois Vandenesse en quittant la marquise, et pour mon malheur je trouve une femme attachée à des souvenirs. La lutte est difficile contre un mort qui n’est plus là, qui ne peut pas faire de sottises, ne déplaît jamais, et de qui l’on ne voit que les belles qualités. N’est-ce pas vouloir détrôner la perfection que d’essayer à tuer les charmes de la mémoire et les espérances qui survivent à un amant perdu, précisément parce qu’il n’a réveillé que des désirs, tout ce que l’amour a de plus beau, de plus séduisant ?

Cette triste réflexion, due au découragement et à la crainte de ne pas réussir, par lesquels commencent toutes les passions vraies, fut le dernier calcul de sa diplomatie expirante. Dès lors il n’eut plus d’arrière-pensées, devint le jouet de son amour et se perdit dans les riens de ce bonheur inexplicable qui se repaît d’un mot, d’un silence, d’un vague espoir. Il voulut aimer platoniquement, vint tous les jours respirer l’air que respirait madame d’Aiglemont, s’incrusta presque dans sa maison et l’accompagna partout avec la tyrannie d’une passion qui mêle son égoïsme au dévouement le plus absolu. L’amour a son instinct, il sait trouver le chemin du cœur comme le plus faible insecte marche à sa fleur avec une irrésistible volonté qui ne s’épouvante de rien. Aussi, quand un sentiment est vrai, sa destinée n’est-elle pas douteuse. N’y a-t-il pas de quoi jeter une femme dans toutes les angoisses de la terreur, si elle vient à penser que sa vie dépend du plus ou du moins de vérité, de force, de persistance que son amant mettra dans ses désirs ! Or, il est impossible à une femme, à une épouse, à une mère, de se préserver contre l’amour d’un jeune homme ; la seule chose qui soit en sa puissance est de ne pas continuer à le voir au moment