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plus extraordinaire qu’en ce moment où tant de sentiments bouillonnaient dans sa poitrine. Calyste était en extase. Au premier mot de cette cavatine, l’artiste lança sur la marquise un regard qui donnait aux paroles une signification cruelle et qui fut entendue. Camille, qui accompagnait, devina ce commandement qui fit baisser la tête à Béatrix ; elle regarda Calyste et pensa que l’enfant était tombé dans quelque piége malgré ses avis. Elle en eut la certitude quand l’heureux Breton vint dire adieu à Béatrix en lui baisant la main et en la lui serrant avec un petit air confiant et rusé. Quand Calyste atteignit Guérande, la femme de chambre et les gens chargeaient la voiture de voyage de Conti, qui, dès l’aurore, comme il l’avait dit, emmenait jusqu’à la poste Béatrix avec les chevaux de Camille. Les ténèbres permirent à madame de Rochegude de regarder Guérande, dont les tours, blanchies par le jour, brillaient au milieu du crépuscule, et de se livrer à sa profonde tristesse : elle laissait là l’une des plus belles fleurs de la vie, un amour comme le rêvent les plus pures jeunes filles. Le respect humain brisait le seul amour véritable que cette femme pouvait et devait concevoir dans toute sa vie. La femme du monde obéissait aux lois du monde, elle immolait l’amour aux convenances, comme certaines femmes l’immolent à la Religion ou au Devoir. Souvent l’Orgueil s’élève jusqu’à la Vertu. Vue ainsi, cette horrible histoire est celle de bien des femmes. Le lendemain, Calyste vint aux Touches vers midi. Quand il arriva dans l’endroit du chemin d’où la veille il avait aperçu Béatrix à la fenêtre, il y distingua Camille qui accourut à sa rencontre. Elle lui dit au bas de l’escalier ce mot cruel : Partie !

— Béatrix ? répondit Calyste foudroyé.

— Vous avez été la dupe de Conti, vous ne m’avez rien dit, je n’ai pu rien faire.

Elle emmena le pauvre enfant dans son petit salon ; il se jeta sur le divan à la place où il avait si souvent vu la marquise, et y fondit en larmes. Félicité ne lui dit rien, elle fuma son houka, sachant qu’il n’y a rien à opposer aux premiers accès de ces douleurs, toujours sourdes et muettes. Calyste, ne sachant prendre aucun parti, resta pendant toute la journée dans un engourdissement profond. Un instant avant le dîner, Camille essaya de lui dire quelques paroles après l’avoir prié de l’écouter.

— Mon ami, tu m’as causé de plus violentes souffrances, et je