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Enfin, il fera tonner l’artillerie piquante des suppositions les plus injurieuses. Béatrix alors sera forcée d’opposer de menteuses dénégations dont il va profiter pour rester le maître.

— Ah ! dit Calyste, il ne l’aime pas. Moi, je la laisserais libre : l’amour comporte un choix fait à tout moment, confirmé de jour en jour. Le lendemain approuve la veille et grossit le trésor de nos plaisirs. Quelques jours plus tard, il ne nous trouvait plus. Qui donc l’a ramené ?

— Une plaisanterie de journaliste, dit Camille. L’opéra sur le succès duquel il comptait est tombé, mais à plat. Ce mot : « Il est dur de perdre à la fois sa réputation et sa maîtresse ! » dit au foyer par Claude Vignon, peut-être, l’a sans doute atteint dans toutes ses vanités. L’amour basé sur des sentiments petits est impitoyable. Je l’ai questionné, mais qui peut connaître une nature si fausse et si trompeuse ? il a paru fatigué de sa misère et de son amour, dégoûté de la vie. Il a regretté d’être lié si publiquement avec la marquise, et m’a fait, en me parlant de son ancien bonheur, un poème de mélancolie un peu trop spirituel pour être vrai. Sans doute il espérait me surprendre le secret de votre amour au milieu de la joie que ses flatteries me causeraient.

— Hé ! bien ? dit Calyste en regardant Béatrix et Conti qui venaient, et n’écoutant déjà plus.

Camille, par prudence, s’était tenue sur la défensive, elle n’avait trahi ni le secret de Calyste ni celui de Béatrix. L’artiste était homme à jouer tout le monde, et mademoiselle des Touches engagea Calyste à se défier de lui.

— Cher enfant, lui dit-elle, voici pour toi le moment le plus critique ; il faut une prudence, une habileté qui te manquent, et tu vas te laisser jouer par l’homme le plus rusé du monde, car maintenant je ne puis rien pour toi.

La cloche annonça le dîner. Conti vint offrir son bras à Camille, Béatrix prit celui de Calyste. Camille laissa passer la marquise la première, qui put regarder Calyste et lui recommander une discrétion absolue en mettant un doigt sur ses lèvres. Conti fut d’une excessive gaieté pendant le dîner. Peut-être était-ce une manière de sonder madame de Rochegude, qui joua mal son rôle. Coquette, elle eût pu tromper Conti ; mais aimante, elle fut devinée. Le rusé musicien, loin de la gêner, ne parut pas s’apercevoir de son embarras. Il mit au dessert la conversation sur les femmes, et vanta la