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je serai le désert sablonneux et sans végétation, sans fleurs ni verdure que voici.

— Et si vous étiez abandonnée ? dit Calyste.

— Eh ! bien, j’irai mendier ma grâce, je m’humilierai devant l’homme que j’ai offensé, mais je ne courrai jamais le risque de me jeter dans un bonheur que je sais devoir finir.

— Finir ! s’écria Calyste.

La marquise interrompit le dithyrambe auquel allait se livrer son amant en répétant : Finir ! d’un ton qui lui imposa silence.

Cette contradiction émut chez le jeune homme une de ces muettes fureurs internes que connaissent seuls ceux qui ont aimé sans espoir. Béatrix et lui firent environ trois cents pas dans un profond silence, ne regardant plus ni la mer, ni les roches, ni les champs du Croisic.

— Je vous rendrais si heureuse ! dit Calyste.

— Tous les hommes commencent par nous promettre le bonheur, et ils nous lèguent l’infamie, l’abandon, le dégoût. Je n’ai rien à reprocher à celui à qui je dois être fidèle ; il ne m’a rien promis, je suis allée à lui ; mais le seul moyen qui me reste pour amoindrir ma faute est de la rendre éternelle.

— Dites, madame, que vous ne m’aimez pas ! Moi qui vous aime, je sais par moi-même que l’amour ne discute pas, il ne voit que lui-même, il n’est pas un sacrifice que je ne fasse. Ordonnez, je tenterai l’impossible. Celui qui jadis a méprisé sa maîtresse pour avoir jeté son gant entre les lions en lui commandant d’aller le reprendre, il n’aimait pas ! il méconnaissait votre droit de nous éprouver pour être sûres de notre amour et ne rendre les armes qu’à des grandeurs surhumaines. Je vous sacrifierais ma famille, mon nom, mon avenir.

— Quelle insulte dans ce mot de sacrifices ! dit-elle d’un ton de reproche qui fit sentir à Calyste la sottise de son expression.

Il n’y a que les femmes qui aiment absolument ou les coquettes pour savoir prendre un point d’appui dans un mot et s’élancer à une hauteur prodigieuse : l’esprit et le sentiment procèdent là de la même manière ; mais la femme aimante s’afflige, et la coquette méprise.

— Vous avez raison, dit Calyste en laissant tomber deux larmes, ce mot ne peut se dire que des efforts que vous me demandez.

— Taisez-vous, dit Béatrix saisie d’une réponse où pour la pre-