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de larmes ; elle pleura comme pleurent toutes les femmes dans leurs vives douleurs.

— Mon Dieu ! dit-elle, il l’aime. Je mourrai donc sans avoir été ni comprise ni aimée !

Elle resta quelques moments la tête appuyée sur l’épaule de Béatrix : sa douleur était véritable, elle éprouvait dans ses entrailles le coup terrible qu’y avait reçu la baronne du Guénic à la lecture de cette lettre.

— L’aimes-tu ? dit-elle en se dressant et regardant Béatrix. As-tu pour lui cette adoration infinie qui triomphe de toutes les douleurs et qui survit au mépris, à la trahison, à la certitude de n’être plus jamais aimée ? L’aimes-tu pour lui-même et pour le plaisir même de l’aimer ?

— Chère amie, dit la marquise attendrie ; eh ! bien, sois tranquille, je partirai demain.

— Ne pars pas, il t’aime, je le vois ! Et je l’aime tant que je serais au désespoir de le voir souffrant, malheureux. J’avais formé bien des projets pour lui ; mais s’il t’aime, tout est fini.

— Je l’aime, Camille, dit alors la marquise avec une adorable naïveté, mais en rougissant.

— Tu l’aimes, et tu peux lui résister ! s’écria Camille. Ah ! tu ne l’aimes pas.

— Je ne sais quelles vertus nouvelles il a réveillées en moi, mais certes il m’a rendue honteuse de moi-même, dit Béatrix. Je voudrais être vertueuse et libre pour lui sacrifier autre chose que les restes de mon cœur et des chaînes infâmes. Je ne veux d’une destinée incomplète ni pour lui ni pour moi.

— Tète froide : aimer et calculer ! dit Camille avec une sorte d’horreur.

— Tout ce que vous voudrez, mais je ne veux pas flétrir sa vie, être à son cou comme une pierre, et devenir un regret éternel. Si je ne puis être sa femme, je ne serai pas sa maîtresse. Il m’a… Vous ne vous moquerez pas de moi ? non. Eh ! bien, son adorable amour m’a purifiée.

Camille jeta sur Béatrix le plus fauve, le plus farouche regard que jamais femme jalouse ait jeté sur sa rivale.

— Sur ce terrain, dit-elle, je croyais être seule. Béatrix, ce mot nous sépare à jamais, nous ne sommes plus amies. Nous commençons un combat horrible. Maintenant je te le dis : tu succom-