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les gestes de sa nièce ; mais ni le chevalier ni le baron ne comprirent cette satire de la province contre Paris.

— La marquise de Rochegude est cependant bien belle, dit la vieille fille.

— Mon ami, dit la baronne à son mari, je sais qu’elle va demain au Croisic, nous irons nous y promener, je voudrais bien la rencontrer.

Pendant que Calyste se creusait la tête afin de deviner ce qui pouvait lui avoir fait fermer la porte des Touches, il se passait entre les deux amies une scène qui devait influer sur les événements du lendemain. La lettre de Calyste avait apporté dans le cœur de madame de Rochegude des émotions inconnues. Les femmes ne sont pas toujours l’objet d’un amour aussi jeune, aussi naïf, aussi sincère et absolu que l’était celui de cet enfant. Béatrix avait plus aimé qu’elle n’avait été aimée. Après avoir été l’esclave, elle éprouvait un désir inexplicable d’être à son tour le tyran. Au milieu de sa joie, en lisant et relisant la lettre de Calyste, elle fut traversée par la pointe d’une idée cruelle. Que faisaient donc ensemble Calyste et Camille depuis le départ de Claude Vignon ! Si Calyste n’aimait pas Camille et si Camille le savait, à quoi donc employaient-ils leurs matinées ? La mémoire de l’esprit rapprocha malicieusement de cette remarque les discours de Camille. Il semblait qu’un diable souriant fît apparaître dans un miroir magique le portrait de cette héroïque fille avec certains gestes et certains regards qui achevèrent d’éclairer Béatrix. Au lieu de lui être égale, elle était écrasée par Félicité ; loin de la jouer, elle était jouée par elle ; elle n’était qu’un plaisir que Camille voulait donner à son enfant aimé d’un amour extraordinaire et sans vulgarité. Pour une femme comme Béatrix, cette découverte fut un coup de foudre. Elle repassa minutieusement l’histoire de cette semaine. En un moment, le rôle de Camille et le sien se déroulèrent dans toute leur étendue : elle se trouva singulièrement ravalée. Dans son accès de haine jalouse, elle crut apercevoir chez Camille une intention de vengeance contre Conti. Tout le passé de ces deux ans agissait peut-être sur ces deux semaines. Une fois sur la pente des défiances, des suppositions et de la colère, Béatrix ne s’arrêta point : elle se promenait dans son appartement poussée par d’impétueux mouvements d’âme et s’asseyait tour à tour en essayant de prendre un parti ; mais elle resta jusqu’à l’heure du dîner en proie à l’indécision et ne descendit que pour se mettre