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trouvait être si peu de chose ! Cette accusation ingénue de son néant se lisait mêlée à son admiration. Il ne s’aperçut pas du geste de Béatrix, qui, ramenée vers Calyste par la contagion des sentiments vrais, le montra par un signe à mademoiselle des Touches.

— Oh ! l’adorable cœur ! dit Félicité. Conti, vous ne recueillerez jamais d’applaudissements qui vaillent l’hommage de cet enfant. Chantons alors un trio. Béatrix, ma chère, venez ?

Quand la marquise, Camille et Conti se mirent au piano, Calyste se leva doucement à leur insu, se jeta sur un des sofas de la chambre à coucher dont la porte était ouverte, et y demeura plongé dans son désespoir.

— Qu’avez-vous, mon enfant ? lui dit Claude, qui se coula silencieusement auprès de Calyste et lui prit la main. Vous aimez, vous vous croyez dédaigné ; mais il n’en est rien. Dans quelques jours vous aurez le champ libre ici, vous y régnerez, vous serez aimé par plus d’une personne ; enfin, si vous savez vous bien conduire, vous y serez comme un sultan.

— Que me dites-vous ? s’écria Calyste en se levant et entraînant par un geste Claude dans la bibliothèque. Qui m’aime ici ?

— Camille, répondit Claude.

— Camille m’aimerait ! demanda Calyste. Eh ! bien, vous ?

— Moi, reprit Claude, moi… Il ne continua pas. Il s’assit et s’appuya la tête avec une profonde mélancolie sur un coussin. — Je suis ennuyé de la vie et n’ai pas le courage de la quitter, dit-il après un moment de silence. Je voudrais m’être trompé dans ce que je viens de vous dire ; mais depuis quelques jours plus d’une clarté vive a lui. Je ne me suis pas promené dans les roches du Croisic pour mon plaisir. L’amertume de mes paroles à mon retour, quand je vous ai trouvé causant avec Camille, prenait sa source au fond de mon amour-propre blessé. Je m’expliquerai tantôt avec Camille. Deux esprits aussi clairvoyants que le sien et le mien ne sauraient se tromper. Entre deux duellistes de profession, le combat n’est pas de longue durée. Aussi puis-je d’avance vous annoncer mon départ. Oui, je quitterai les Touches, demain peut-être, avec Conti. Certes il s’y passera, quand nous n’y serons plus, d’étranges, de terribles choses peut-être, et j’aurai le regret de ne pas assister à ces débats de passion si rares en France et si dramatiques. Vous êtes bien jeune pour une lutte si dangereuse : vous m’intéressez. Sans le profond dégoût que m’inspirent les