Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/392

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ticuliers aux jeunes gens dont le cœur et la vie sont purs. En étudiant, quoique à la dérobée, afin de ne pas éveiller les soupçons du jaloux Gennaro, les détails qui rendent la marquise de Rochegude si noblement belle, Calyste fut bientôt opprimé par la majesté de la femme aimée : il se sentit rapetissé par la hauteur de certains regards, par l’attitude imposante de ce visage où débordaient les sentiments aristocratiques, par une certaine fierté que les femmes font exprimer à de légers mouvements, à des airs de tête, à d’admirables lenteurs de geste, et qui sont des effets moins plastiques, moins étudiés qu’on ne le pense. Ces mignons détails de leur changeante physionomie correspondent aux délicatesses, aux mille agitations de leurs âmes. Il y a du sentiment dans toutes ces expressions. La fausse situation où se trouvait Béatrix lui commandait de veiller sur elle-même, de se rendre imposante sans être ridicule, et les femmes du grand monde savent toutes atteindre à ce but, l’écueil des femmes vulgaires. Aux regards de Félicité, Béatrix devina l’adoration intérieure qu’elle inspirait à son voisin et qu’il était indigne d’elle d’encourager, elle jeta donc sur Calyste en temps opportun un ou deux regards répressifs qui tombèrent sur lui comme des avalanches de neige. L’infortuné se plaignit à mademoiselle des Touches par un regard où se devinaient des larmes gardées sur le cœur avec une énergie surhumaine, et Félicité lui demanda d’une voix amicale pourquoi il ne mangeait rien. Calyste se bourra par ordre et eut l’air de prendre part à la conversation. Être importun au lieu de plaire, cette idée insoutenable lui martelait la cervelle. Il devint d’autant plus honteux qu’il aperçut derrière la chaise de la marquise le domestique qu’il avait vu le matin sur la jetée, et qui, sans doute parlerait de sa curiosité. Contrit ou heureux, madame de Rochegude ne fit aucune attention à son voisin. Mademoiselle des Touches l’ayant mise sur son voyage d’Italie, elle trouva moyen de raconter spirituellement la passion à brûle-pourpoint dont l’avait honorée un diplomate russe à Florence, en se moquant des petits jeunes gens qui se jetaient sur les femmes comme des sauterelles sur la verdure. Elle fit rire Claude Vignon, Gennaro, Félicité elle-même, quoique ces traits moqueurs atteignissent au cœur de Calyste, qui, au travers du bourdonnement qui retentissait à ses oreilles et dans sa cervelle, n’entendit que des mots. Le pauvre enfant ne se jurait pas à lui-même, comme certains entêtés, d’obtenir cette femme à tout prix ; non, il n’avait point de colère, il souffrait.