Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/386

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui s’y présente ? Béatrix avait hérité de l’amour que dédaignait Camille. Calyste regarda faire le débarquement, tout en jetant de temps en temps les yeux sur le Croisic, espérant voir une barque sortir du port, venir à ce petit promontoire où mugissait la mer, et lui montrer cette Béatrix déjà devenue dans sa pensée ce qu’était Béatrix pour Dante, une éternelle statue de marbre aux mains de laquelle il suspendrait ses fleurs et ses couronnes. Il demeurait les bras croisés, perdu dans les méditations de l’attente. Un fait digne de remarque, et qui cependant n’a point été remarqué, c’est comme nous soumettons souvent nos sentiments à une volonté, combien nous prenons une sorte d’engagement avec nous-mêmes, et comme nous créons notre sort : le hasard n’y a certes pas autant de part que nous le croyons.

— Je ne vois point les chevaux, dit la femme de chambre assise sur une malle.

— Et moi je ne vois pas de chemin frayé, dit le domestique.

— Il est cependant venu des chevaux ici, dit la femme de chambre en montrant les preuves de leur séjour. Monsieur, dit-elle en s’adressant à Calyste, est-ce bien là la route qui mène à Guérande ?

— Oui, répondit-il. Qui donc attendez-vous ?

— On nous a dit qu’on viendrait nous chercher des Touches. Si l’on tardait, je ne sais pas comment madame la marquise s’habillerait, dit-elle au domestique. Vous devriez aller chez mademoiselle des Touches. Quel pays de sauvages !

Calyste eut un vague soupçon de la fausseté de sa position.

— Votre maîtresse va donc aux Touches ? demanda-t-il.

— Mademoiselle est venue ce matin à sept heures la chercher, répondit-elle. Ah ! voici des chevaux…

Calyste se précipita vers Guérande avec la vitesse et la légèreté d’un chamois, en faisant un crochet de lièvre pour ne pas être reconnu par les gens des Touches ; mais il en rencontra deux dans le chemin étroit des marais par où il passa. — Entrerai-je, n’entrerai-je pas ? pensait-il en voyant poindre les pins des Touches. Il eut peur, il rentra penaud et contrit à Guérande, et se promena sur le mail, où il continua sa délibération. Il tressaillit en voyant les Touches, il en examinait les girouettes. — Elle ne se doute pas de mon agitation ! se disait-il. Ses pensées capricieuses étaient autant de grappins qui s’enfonçaient dans son cœur et y attachaient la marquise. Calyste n’avait pas eu ces terreurs, ces joies d’avant-propos