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femme qui comprendra votre bonheur sans en être jalouse ? Allons, à bientôt. Le vent est favorable, je pars en vous envoyant un baiser. »

— Hé ! bien, elle m’aime aussi, celle-là, se dit Calyste en repliant la lettre d’un air triste.

Cette tristesse jaillit sur le cœur de la mère comme si quelque lueur lui eût éclairé un abîme. Le baron venait de sortir. Fanny alla pousser le verrou de la tourelle et revint se poser au dossier du fauteuil où était son enfant, comme est la sœur de Didon dans le tableau de Guérin ; elle lui baisa le front en lui disant : — Qu’as-tu, mon Calyste, qui t’attriste ? Tu m’as promis de m’expliquer tes assiduités aux Touches ; je dois, dis-tu, en bénir la maîtresse.

— Oui, certes, dit-il, elle m’a démontré, ma mère chérie, l’insuffisance de mon éducation à une époque où les nobles doivent conquérir une valeur personnelle pour rendre la vie à leur nom. J’étais aussi loin de mon siècle que Guérande est loin de Paris. Elle a été un peu la mère de mon intelligence.

— Ce n’est pas pour cela que je la bénirai, dit la baronne dont les yeux s’emplirent de larmes.

— Maman, s’écria Calyste sur le front de qui tombèrent ces larmes chaudes, deux perles de maternité endolorie ! maman, ne pleurez pas, car tout à l’heure je voulais, pour lui rendre service, parcourir le pays depuis la berge aux douaniers jusqu’au bourg de Batz, et elle m’a dit : « Dans quelle inquiétude serait votre mère ! »

— Elle a dit cela ? Je puis donc lui pardonner bien des choses, dit Fanny.

— Félicité ne veut que mon bien, reprit Calyste, elle retient souvent de ces paroles vives et douteuses qui échappent aux artistes, pour ne pas ébranler en moi une foi qu’elle ne sait pas être inébranlable. Elle m’a raconté la vie à Paris de quelques jeunes gens de la plus haute noblesse, venant de leur province comme je puis en sortir, quittant une famille sans fortune, et y conquérant, par la puissance de leur volonté, de leur intelligence, une grande fortune. Je puis faire ce qu’a fait le baron de Rastignac, au Ministère aujourd’hui. Elle me donne des leçons de piano, elle m’apprend l’italien, elle m’initie à mille secrets sociaux desquels personne ne se doute à Guérande. Elle n’a pu me donner les trésors de l’amour, elle me donne ceux de sa vaste intelligence, de son esprit, de son génie. Elle ne veut pas être un plaisir, mais une lumière pour moi ; elle ne