Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/372

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on peut analyser déjà les choses du cœur, dit-elle en lui tendant la lettre.

En ce moment Claude Vignon entra. Cette apparition inattendue rendit pendant un moment Calyste et Félicité silencieux, elle par surprise, lui par inquiétude vague. Le front immense, haut et large de ce jeune homme chauve à trente-sept ans semblait obscurci de nuages. Sa bouche ferme et judicieuse exprimait une froide ironie. Claude Vignon est imposant, malgré les dégradations précoces d’un visage autrefois magnifique et devenu livide. Entre dix-huit et vingt-cinq ans, il a ressemblé presque au divin Raphaël ; mais son nez, ce trait de la face humaine qui change le plus, s’est taillé en pointe ; mais sa physionomie s’est tassée pour ainsi dire sous de mystérieuses dépressions ; les contours ont acquis une plénitude d’une mauvaise couleur ; les tons de plomb dominent dans le teint fatigué, sans qu’on connaisse les fatigues de ce jeune homme, vieilli peut-être par une amère solitude et par les abus de la compréhension. Il scrute la pensée d’autrui, sans but ni système. Le pic de sa critique démolit toujours et ne construit rien. Ainsi sa lassitude celle du manœuvre, et non celle de l’architecte. Les yeux d’un bleu pâle, brillants jadis, ont été voilés par des peines inconnues, ou ternis par une tristesse morne. La débauche a estompé le dessus des sourcils d’une teinte noirâtre. Les tempes ont perdu de leur fraîcheur. Le menton, d’une incomparable distinction, s’est doublé sans noblesse. Sa voix, déjà peu sonore, a faibli ; sans être ni éteinte ni enrouée, elle est entre l’enrouement et l’extinction. L’impassibilité de cette belle tête, la fixité de ce regard couvrent une irrésolution, une faiblesse que trahit un sourire spirituel et moqueur. Cette faiblesse frappe sur l’action et non sur la pensée : il y a les traces d’une compréhension encyclopédique sur ce front, dans les habitudes de ce visage enfantin et superbe à la fois. Il est un détail qui peut expliquer les bizarreries du caractère. L’homme est d’une haute taille, légèrement voûté déjà, comme tous ceux qui portent un monde d’idées. Jamais ces grands longs corps n’ont été remarquables par une énergie continue, par une activité créatrice. Charlemagne, Narsès, Bélisaire et Constantin sont en ce genre, des exceptions excessivement remarquées. Certes, Claude Vignon offre des mystères à deviner. D’abord il est très-simple et très-fin tout ensemble. Quoiqu’il tombe avec la facilité d’une courtisane dans les excès, sa pensée demeure