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plus fameux aujourd’hui par son nom littéraire que par ses talents diplomatiques. Camille Maupin, l’une des quelques femmes célèbres du dix-neuvième siècle, passa long-temps pour un auteur réel à cause de la virilité de son début. Tout le monde connaît aujourd’hui les deux volumes de pièces non susceptibles de représentation, écrites à la manière de Shakspeare ou de Lopez de Véga, publiées en 1822, et qui firent une sorte de révolution littéraire, quand la grande question des romantiques et des classiques palpitait dans les journaux, dans les cercles, à l’Académie. Depuis, Camille Maupin a donné plusieurs pièces de théâtre et un roman qui n’ont point démenti le succès obtenu par sa première publication, maintenant un peu trop oubliée. Expliquer par quel enchaînement de circonstances s’est accomplie l’incarnation masculine d’une jeune fille, comment Félicité des Touches s’est faite homme et auteur ; pourquoi, plus heureuse que madame de Staël, elle est restée libre et se trouve ainsi plus excusable de sa célébrité, ne sera-ce pas satisfaire beaucoup de curiosités et justifier l’une de ces monstruosités qui s’élèvent dans l’humanité comme des monuments, et dont la gloire est favorisée par la rareté ? car, en vingt siècles, à peine compte-t-on vingt grandes femmes. Aussi, quoiqu’elle ne soit ici qu’un personnage secondaire, comme elle eut une grande influence sur Calyste et qu’elle joue un rôle dans l’histoire littéraire de notre époque, personne ne regrettera de s’être arrêté devant cette figure un peu plus de temps que ne le veut la poétique moderne.

Mademoiselle Félicité des Touches s’est trouvée orpheline en 1793. Ses biens échappèrent ainsi aux confiscations qu’auraient sans doute encourues son père et son frère. Le premier mourut au 10 août, tué sur le seuil du palais, parmi les défenseurs du roi, auprès de qui l’appelait son grade de major aux gardes de la porte. Son frère, jeune garde du corps, fut massacré aux Carmes. Mademoiselle des Touches avait deux ans quand sa mère mourut tuée par le chagrin, quelques jours après cette seconde catastrophe. En mourant, madame des Touches confia sa fille à sa sœur, une religieuse de Chelles. Madame de Faucombe, la religieuse, emmena prudemment l’orpheline à Faucombe, terre considérable située près de Nantes, appartenant à madame des Touches, et où la religieuse s’établit avec trois sœurs de son couvent. La populace de Nantes vint pendant les derniers jours de la terreur démolir le château,