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mille livres de rente le fils eût une redingote et la mère une robe de velours ; mais Fanny O’Brien avait des tantes et des parents riches à Londres qui se rappelaient au souvenir de la Bretonne par des présents. Plusieurs de ses sœurs, richement mariées, s’intéressaient assez vivement à Calyste pour penser à lui trouver une héritière, en le sachant beau et noble, autant que Fanny, leur favorite exilée, était belle et noble.

— Vous êtes resté plus tard qu’hier aux Touches, mon bien-aimé, dit enfin la mère d’une voix émue.

— Oui, chère mère, répondit-il sans donner d’explication.

La sécheresse de cette réponse attira des nuages sur le front de la baronne, qui remit l’explication au lendemain. Quand les mères conçoivent les inquiétudes que ressentait en ce moment la baronne, elles tremblent presque devant leurs fils, elles sentent instinctivement les effets de la grande émancipation de l’amour, elles comprennent tout ce que ce sentiment va leur emporter ; mais elles ont en même temps quelque joie de savoir leurs fils heureux : il y a comme une bataille dans leur cœur. Quoique le résultat soit leur fils grandi, devenu supérieur, les véritables mères n’aiment pas cette tacite abdication, elles aiment mieux leurs enfants petits et protégés. Peut-être est-ce là le secret de la prédilection des mères pour leurs enfants faibles, disgraciés ou malheureux.

— Tu es fatigué, cher enfant, couche-toi, dit-elle en retenant ses larmes.

Une mère qui ne sait pas tout ce que fait son fils croit tout perdu, quand une mère aime autant et est aussi aimée que Fanny. Peut-être toute autre mère aurait-elle tremblé d’ailleurs autant que madame du Guénic. La patience de vingt années pouvait être rendue inutile. Ce chef-d’œuvre humain de l’éducation noble, sage et religieuse, Calyste, pouvait être détruit ; le bonheur de sa vie, si bien préparé, pouvait être à jamais ruiné par une femme.

Le lendemain, Calyste dormit jusqu’à midi ; car sa mère défendit de l’éveiller, et Mariotte servit à l’enfant gâté son déjeuner au lit. Les règles inflexibles et quasi conventuelles qui régissaient les heures des repas cédaient aux caprices du chevalier. Aussi, quand on voulait arracher à mademoiselle du Guénic son trousseau de clefs pour donner en dehors des repas quelque chose qui eût nécessité des explications interminables, n’y avait-il pas d’autre moyen que de prétexter une fantaisie de Calyste. Vers une heure, le baron, sa