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— Hélas ! et moi aussi, dit naïvement la baronne. Je voudrais maintenant avoir aimé d’amour, pour observer, conseiller, consoler Calyste.

Le curé ne traversa pas seul la petite cour proprette, la baronne l’accompagna jusqu’à la porte en espérant entendre le pas de Calyste dans Guérande ; mais elle n’entendit que le bruit lourd de la prudente démarche du curé qui finit par s’affaiblir dans le lointain, et qui cessa lorsque, dans le silence de la ville, la porte du presbytère retentit en se fermant. La pauvre mère rentra désolée en apprenant que la ville était au fait de ce qu’elle croyait être seule à savoir. Elle s’assit, raviva la mèche de la lampe en la coupant avec de vieux ciseaux, et reprit la tapisserie à la main qu’elle faisait en attendant Calyste. La baronne se flattait ainsi de forcer son fils à revenir plus tôt, à passer moins de temps chez mademoiselle des Touches. Ce calcul de la jalousie maternelle était inutile. De jour en jour les visites de Calyste aux Touches devenaient plus fréquentes, et chaque soir il revenait plus tard ; enfin la veille le chevalier n’était rentré qu’à minuit. La baronne, perdue dans sa méditation maternelle, tirait ses points avec l’activité des personnes qui pensent en faisant quelque ouvrage manuel. Qui l’eût vue ainsi penchée à la lueur de cette lampe, sous les lambris quatre fois centenaire de cette salle, aurait admiré ce sublime portrait. Fanny avait une telle transparence de chair qu’on aurait pu lire ses pensées sur son front. Tantôt piquée des curiosités qui viennent aux femmes pures, elle se demandait quels secrets diaboliques possédaient ces filles de Baal pour autant charmer les hommes, et leur faire oublier mère, famille, pays, intérêt. Tantôt elle allait jusqu’à vouloir rencontrer cette femme, afin de la juger sainement. Elle mesurait l’étendue des ravages que l’esprit novateur du siècle, peint comme si dangereux pour les jeunes âmes par le curé, devait faire sur son unique enfant, jusqu’alors aussi candide, aussi pur qu’une jeune fille innocente, dont la beauté n’eût pas été plus fraîche que la sienne.

Calyste, ce magnifique rejeton de la plus vieille race bretonne et du sang irlandais le plus noble, avait été soigneusement élevé par sa mère. Jusqu’au moment où la baronne le remit au curé de Guérande, elle était certaine qu’aucun mot impur, qu’aucune idée mauvaise n’avaient souillé les oreilles ni l’entendement de son fils. La mère, après l’avoir nourri de son lait, après lui avoir ainsi donné deux fois son sang, put le présenter dans une candeur de vierge au